LEO SCALPEL

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Léo Scalpel, voilà un nom ou un pseudonyme « à couper au couteau » ! 

         Léo Scalpel : C’est un pseudonyme. Car, dans les années 90, je faisais des illustrations pour des magazines sur ordinateurs, en découpant au cutter les trames adhésives qui servent à faire des dessins. Pour cette raison, j’avais choisi de m’appeler Scalpel. Un jour, les Oudin m’ont fait un vernissage sous ce nom, et par la suite, je l’ai conservé. En fait, je m’appelle Le Joncourt qui est un nom breton, et sent vraiment le terroir. Scalpel est plus incisif !

 

         J. R. : Prononcerons-nous, à propos de vos œuvres, le mot « Récup’ » ? Ce qui est étrange, c’est que tous les objets dont vous vous servez ont l’air neuf ?

       L. S. : Art-Récup’ me convient. Mais non, rien n’est neuf, tout est d’occasion. Il est vrai que les enfants gardant maintenant leurs jouets très peu de temps, ils ne sont pas vraiment usés. Mais tout est de la récupération, plus ou moins cassé. Tout vient de brocantes où j’aime chiner. D’ailleurs, même s’ils ne sont pas trop abîmés, je les dépiaute, je les désosse… 

 

         J. R. : Je trouve pourtant que vous constituez un paradoxe par rapport aux autres récupérateurs : A part votre Christ, par exemple, tout le reste est très clinquant. 

             L. S. : C’est parce que je me définis comme « cyber-trash »*, « brut de brut » ! Je ne me considère ni comme créateur d’Art brut ni d’Art singulier. Je dirai « outsider ».

 

           J. R. : Vous savez que le mot « outsider » qui a été créé par l’écrivain anglais Roger Cardinal a, à l’origine, exactement le même sens qu’« Art brut », et que, par la suite il est devenu synonyme d’ « Art singulier » ?

          L. S. : Je crois qu’aux Etats-Unis il a un sens plus large. Je prends le terme des Etats-Unis que j’aime bien. En fait, mon travail n’est ni tout à fait réaliste, ni tout à fait surréaliste… Je me sens proche des Dadaïstes… Je me revendique du mouvement Dada-surréaliste-Pop… Et puis aussi, bien sûr, récupérateur.  En fait, j’aimais beaucoup Mad Max ; l’un de mes personnages s’appelle d’ailleurs ainsi. Il y a dans mes œuvres tout l’esprit de Mad Max, véhicules rafistolés, carrément cassés… C’est vraiment « Destroy ». Mais toujours avec la référence à l’ordinateur. Il y a aussi Virus, etc. Et cette planche de surf s’appelle « Lead-Surfing » parce que, comme les virus, comme les crabes, elle envahit toutes les cultures. Ici, elle envahit la culture africaine… Vous voyez bien que tous sont fait avec des objets cassés, moi en tout cas, je me revendique de l’Art pauvre  « économique ». Je fais aussi beaucoup d’œuvres sur des planches à viande…

 

          J. R. : Et vous les découpez au scalpel ?… Quand vous nommez ce personnage Mad Max, vous introduisez de la dérision, une façon de dénoncer une civilisation brutale… Mais pourquoi éprouvez-vous le besoin de revenir à la religion ?

          L. S. : Bien sûr, Mad Max récupérait tout, fabriquait des bagnoles avec des morceaux dépareillés, etc. Mais je ne « reviens » pas à la religion. Mon travail est anti-religieux. 

 

          J. R. : L’irrévérence n’est pas franchement évidente dans les œuvres que nous avons sous les yeux.

        L. S. : Si, si ! Sur l’un, c’est la guerre de religions : il y a un mousquet avec des signes musulmans ; et sur un autre, un Christ désarticulé que j’ai trouvé dans la rue. Et comme, sur le skate il restait une bande vide, j’ai mis un drapeau islamique. C’est vraiment la lutte entre l’Orient et l’Occident. L’une de mes œuvres s’intitule « La conversion et la mort »… C’est en plus anti-consommation ! Les gens jettent, je récupère. C’est comme un second marché parallèle.

 

       J. R. : Et cela donne à votre travail une double connotation. Il se situe en marge des autres récupérateurs qui se rangent dans le culte du passé, et…

       L. S. : Ils sont nostalgiques, en fait. Mais moi, je ne suis pas nostalgique, je recycle la culture du passé,  l’histoire de l’Art, le Surréalisme, le Dadaïsme, etc. Si je suis nostalgique, c’est de tous ces mouvements  artistiques.

 

J. R. : Revenons-en à cet aspect brillant, dénonçant en même temps la société de consommation…  

L. S. : Je cherche les Kitsch, également. En fait, je me situe tout près d’eux. Je me situe à un carrefour d’influences. Je suis pour un art qui mélange les cultures, les tendances… 

• Trash : mot anglais qui signifie, détritus, déchets, ordures.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.