DE L’EPHEMERE A LA PERENNITE : OEUVRES ABORIGENES DE

CLIFFORD POSSUM TJAPALTJARRI.

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          Aux temps immémoriaux de l’Espace-Temps du Rêve, apparaissent les ancêtres fondateurs qui modelèrent le paysage : serpents géants, hommes-nuages, infatigables marcheurs, ils sillonnèrent le continent, laissant partout la trace de leur passage : larmes de crocodiles devenues lacs, etc.”

          Vieille de 40 000 ans, la culture aborigène est l’une des plus anciennes du monde : matérielle et modeste, de bois et de pierre ; intellectuelle et religieuse ; si complexe qu’elle est pratiquement incompréhensible à l’homme occidental ; plongée dans la nuit des temps pour rejoindre dans l’Espace-Temps du Rêve, la mémoire des plus lointains ancêtres.

          Depuis tout ce temps, des chasseurs cueilleurs parcourent la brousse selon des itinéraires immuables : les femmes, cueilleuses et chasseuses de petit gibier (lézards...), responsables de la nourriture et de l’éducation des enfants ; les hommes, chasseurs de gros gibier, à la lance ou au propulseur, chargés de fabriquer les outils et les objets rituels.

Au moment de l’Initiation, lors des cérémonies rituelles, le corps des enfants est lacéré de scarifications et couvert de peintures corporelles qui les transforment en de vrais tableaux vivants, véritables cartes d’identité attestant de leur appartenance à tel ou tel groupe.

  “En rêve, l’homme actuel puise auprès d’eux le sens et l’orientation de son existence. Les Aborigènes nomment “Rêve” ces êtres éternels, leurs périples et leurs actes qu’ils réactualisent périodiquement lors de cérémonies rituelles. Chaque individu est identifié à un animal, une plante, un phénomène naturel : c’est son totem. Avoir le totem varan, c’est “posséder le Rêve varan” qui donne des droits sur certains territoires et itinéraires rattachés depuis toujours au mythe de l’animal...

L’homme a des obligations à l’égard de ce “Rêve” : des cérémonies totémiques et territoriales assurent la multiplication de l’espèce, soudent l’organisation sociale, et réaffirment la loi...”

Ces citations et résumés sont extraits de “ULURU, LES ABORIGENES D’AUSTRALIE”, édité par le Musée en Herbe de la Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard. PARIS.

 

           Et la colonisation, dans ce tableau idyllique ? Elle a bien  failli éradiquer cette population ! Elle est intervenue dans les comportements de toute une civilisation ; en a largement modifié  la profondeur, voire parfois l’esprit ; l’entraînant dans des mimétismes pseudo-anglais dont, lentement, certains créateurs se sont décidés à émerger. Néanmoins, des peintures tracées dans le sable, qu’emportait le premier vent, ils sont passés à des tableaux sur matériau acrylique ; des poudres tirées de pierres pilées, d’argiles écrasées, ils en sont venus à des pots ou des tubes  de peintures !

    L’un de ces créateurs, à la fois doué d’un talent de peintre et de l’Espace-Temps du Rêve, est Clifford Possum Tjapaltjarri : après avoir, lui aussi, écouté les sirènes de la civilisation “blanche”, il a, un jour, décidé de retourner vers ses racines, peindre dans des graphies très symboliques, ses propres mandalas.

    Au début, vers les années 60, fidèle à la définition ancestrale de la peinture, ses toiles se sont couvertes de myriades de pointillés circonscrivant des “lacs”, des “soleils”, des “itinéraires migratoires” ondulant entre des buissons de spinnifex... Et, perdus dans ces espaces “désertiques”, les traces de pas de l’opossum imprimées de part et d’autre du trait continu gravé par sa queue écailleuse traînant sur le sol ; ou, dans un autre Rêve, les doigts lourds de l’émeu traversant le chemin...

    Un jour, soucieux d’élargir à d’autres que son peuple, la compréhension de cette mythologie à la fois tribale et personnelle, Clifford Possum a supprimé les petits points, mis à nu, en somme, ses narrations, ne laissant que les épaisses lignes concentriques des itinéraires rituels, ou des espaces “sacrés” ! Ainsi, l’une de ses “histoires”, objet apparemment d’une répétitivité obsessionnelle,  appartient-elle  à la période “pointilliste” et à la nouvelle expression picturale complètement dépouillée : désormais, dans Le Rêve du feu  de  brousse  -Warlugulong-  plus  rien  ne cache les deux frères qui ont mérité la vindicte de leur père pour avoir tué et mangé le Kangourou sacré. Ils émergent, au fil des toiles, de la fumée de l’incendie qu’il a allumé autour d’eux. Dans le cercle qui va se rétrécissant, leurs pas s’incrustent  brutalement dans  le sable. Leurs squelettes  calcinés s’impriment dans la roche !

    Et lorsque se côtoient des toiles des deux époques, le visiteur a du  mal à concevoir que dans l’esprit du peintre, il s’agit d’une même histoire dans laquelle s’impose chaque fois un manichéisme un peu attendri ! Car, voilée ou crûment exposée, la morale est la même : “L’Homme-Lézard à la langue bleue, le père, a eu raison”, dit Clifford Possum, “Ses enfants n’auraient jamais dû manger le Kangourou sacré ! Mais malgré cela, nous les aimons, parce qu’ils étaient ignorants !”. Encore et encore, au fil de ses “Rêves” transcrits, il déroule cette histoire mythique en une oeuvre très colorée, violente et authentique.

    

          Jalonnant, dans la galerie, les oeuvres de Clifford Possum, se dressent des bâtons de bois ou instruments de musique, couverts d’animaux finement stylisés, tatous, émeus, etc.  D’autres sont des totems de deux à trois mètres, humanoïdes, “vêtus” d’un cache-sexe de raphia et de multiples scarifications. Des plumets fixés au sommet de leurs têtes donnent à ces personnages extrêmement longilignes l’air de s’envoler, tandis que leurs pieds soudés les clouent à l’argile rouge ! 

    Enfin, de merveilleux tableautins sur écorces d’eucalyptus, finement gravés d’animaux du bush australien ajoutent à la magie de la  présentation de cette culture lointaine ! Une civilisation des mythes et des rites, un art tellement “différent” que, pour des yeux occidentaux, ils apparaissent, même arrachés à leur contexte, comme des contes de fées qui, presque toujours, se terminent “mal” ! Une expression tellement déroutante, où se ressent, bien sûr, le poids des millénaires ; mais où il serait présomptueux de prétendre, au-delà du sentiment d’en saisir la démonstration discursive, entrer dans l’esprit, pénétrer d’un claquement de doigt dans l’Espace-Temps du Rêve aborigène !

Jeanine RIVAIS

Des oeuvres de CLIFFORD POSSUM étaient visibles en permanence à la GALERIE WOO MANG, 43 rue de la Folie Méricourt (75011) PARIS.

Les photographies et la documentation sur Clifford Possum avaient été gracieusement fournies  par la galerie.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 62 D'AVRIL 1998 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

Et PUBLIE DANS LE N° 57 DE LA REVUE IDEART EN 1998.

Et aussi : http://jeaninerivais.fr Rubrique RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S).