(2 mai- 23 juin 2002)
Exposition à la HALLE AUX TOILES, et CONFERENCES dans la salle des séances du Conseil Régionale de Haute-Normandie.
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« Art » et « Déchirure » : ce titre traduit bien la dualité de la démarche dont il rend compte, même si une partie de l’exposition comporte des « classiques » de l’Art singulier, qui appartiennent davantage à la mouvance hors-les-normes qu’à l’Art brut. Comme à chaque biennale, s’y côtoyaient, en ce printemps 2002, d’authentiques artistes ayant jusqu’à ce jour créé dans la hors-les-normalité ; et d’autres créateurs, eux aussi doués d’un imaginaire surprenant, travaillant seuls dans leur petit coin, ou fréquentant les ateliers d’art-thérapie de centres médicalisés.
Lorsqu’un visiteur entre dans une exposition, il a bien sûr, envie d’être surpris, enchanté (au sens littéral), de tout admirer, se faire inconditionnel du parcours pictural et sculptural qui lui est proposé avec toutes sortes de nuances. Il oublia donc très vite ce « Chamboule-tout », entassement sans imagination de boîtes de conserves qui se trouvait à l’entrée de la première salle, et cette « Origine du monde en kit », travail répétitif et de pure technique, qui, à l’étage, gardait l’entrée de la seconde.
Et passa aux mille merveilles pleines d’imagination et de fantasmagorie, des créateurs qui l’attendaient avec leurs œuvres inconnues ou retrouvées comme de vieilles amies ; mais différentes quand même dans ce lieu où elles bénéficiaient de beaucoup de recul et d’une mise en scène intelligente.
Et, bien sûr, il commença par l’invité d’honneur, éprouvant un infini plaisir à visiter cet espace consacré à
RAYMOND REYNAUD
très richement représenté par des toiles et de grandes sculptures, oeuvres dont la création a jalonné un demi-siècle de questionnements et d’angoisses.
Sculptures conçues à partir d’objets a priori artistiquement non-signifiants, d’éléments de la nature mués en autant d’œuvres tantôt pittoresques, tantôt ironiques, bon enfant , etc. (mais ces qualificatifs seraient souvent interchangeables), infiniment sérieuses ou sacralisées comme le Christ, fait de deux souches dont l’une forme le bassin et les membres inférieurs et dont la forme enveloppante semble les entourer d’un linceul, tandis que la seconde, paraît en jaillir pour constituer le buste et le visage dans lequel hurle une bouche béante, et que (comme pour les Christs jansénistes de naguère), les deux éléments d’une fourche terminale constituent les deux bras en imploration vers le ciel. C’est lui qui, peut-être, exprime le plus directement, l’angoisse de l’artiste. Ou encore comme le Vieux Roi fait d’un tronc dont l’intérieur a disparu et dont le bas, complètement creusé et noirci sépare deux « jambes » scarifiées ; cependant qu’au-dessus d’un buste svelte, s’élargit une tête aux « cheveux » faits de protubérances formant une sorte de couronne. Mais La Mariée semble la quintessence de cette démarche à la fois obsessionnelle, multiforme, apparemment toujours différente et néanmoins toujours la même : Œuvre majeure de l’artiste, elle démontre ce que peut être le cheminement idéal d’un esprit, à partir de ces matériaux vulgaires évoqués ci-dessus, et qui en efface l’origine derrière le sens généré par leur association : Ce visage/corps mono-bloc conçu en une forme losangée possède à la fois un aspect arachnéen comme siérait un voile à une jeune épousée (laquelle, en l’occurrence, n’est pas jeune du tout, remontant aux lointaines créations de Raymond Reynaud !) Dans le même temps, ses yeux (deux chaussures féminines) ont un regard étrange, à la fois fixés sur le visiteur, et détournés par un léger strabisme, sans que l’on puisse affirmer –et nous entrons-là dans des dualités chères à l’artiste-- si elle regarde insolemment son vis à vis ou si elle baisse modestement les yeux ? Tandis que son nez descend à une bouche à la fois large ouverte et obstruée : (là encore, s’agit-il de dire, ou d’être empêchée de dire ?) Et que béent, au-dessus de courtes jambes grêles, un nombril fait d’un cercle denté (pour prendre, mordre ou se défendre ?) et un sexe fendu entre deux lèvres protubérantes, prêt, lui, sans ambiguïté, à « recevoir », évocateur de fécondations subséquentes, et de la vie.
Et des peintures sur lesquelles le personnage central (Le Grand Prosper, la Prieuse, la Diva, la Sirène, etc.) sera l’axe de symétrie d’un espace clos autour duquel il installe son monde à la fois réaliste et imaginaire : monde réel face à ses souvenirs ? ses fantasmes ? ses fantaisies humoristiques ? ses attentes profondément mystiques ? Constructions étranges, où quatre mains jointes peuvent générer un corps ; où des rois, des reines et des ouvriers vont se retrouver à égalité dans un même « médaillon » ; où un enterrement baroque est traité comme une enluminure moyenâgeuse d’où s’échappent des hippocampes monstrueux, des serpents crachant le feu, des franges de personnages qui montent vers l’apex du tableau, ou en redescendent symétriquement ; où des « bouffigues et des bouffiguons » bouffissent le visage d’un Casanova vieillissant ; où des sortes de cauris têtes bêches servent de cadre sophistiqué à une inconnue au visage rébarbatif ; où sont installés aux différents âges de la vie un bébé-fillette-femmeadulte-vieille, renvoyant chaque spectateur à l’inexorable passage du temps. Le tout pris dans une multitude de subtilités, d’infimes personnages fourmillant parmi de purs éléments de décoration… Sans oublier les symboles et la dualité, comme Dulcinée, penchée au balcon mais à demi-cachée par des barreaux en forme d’éventail : or chacun sait que l’éventail fait partie de la panoplie de charme des Espagnoles qui l’agitent pour se rafraîchir, mais dissimulent à moitié leur visage derrière pour que les hommes les remarquent… Autres symboles, les livres exprimant la curiosité insatiable de ce créateur presque autodidacte, des soleils pour sa quête de la lumière, des fleurs, arabesques et entrelacs… Et le plus curieux, dans cette progression, est que les multiples éléments de chaque moitié de la toile ne sont en rien identiques, simplement, ils donnent l’impression de l’être. Et c’est bien là une des prouesses techniques de Raymond Reynaud !
Ce matin-là, des élèves d’une classe du collège Henri Matisse étaient venus en visite. Dès qu’ils surent que le peintre était présent, ce fut une joyeuse ritournelle autour de lui ! Et la professeur, ravie, les laissa poser toutes les questions qu’ils souhaitaient.
Une élève : Monsieur, il y a combien de temps que vous peignez comme ça ?
Raymond Reynaud : J’ai commencé environ en 1969 à peindre en couleurs, et des bois et des peintures je dois en avoir au moins 350. Il y a donc plus de 30 ans que je peins. Est-ce que cela vous intéresse, ce que je dis ?
Les élèves : Oui ! Mais comment vous faites les sculptures ?
R. R. : Je les fais avec des bois de récupération, de la peinture que je remets dessus, toutes sortes d’objets que je trouve dans des décharges. Je ne vais jamais dans les grands magasins pour acheter des choses qui coûtent cher et qui sont sans âme parce qu’elles n’ont jamais servi ! Sur les décharges, je trouve des objets usagés, parce que les gens sont souvent gaspilleurs…Ils jettent des objets que je trouve beaux ; ou intéressants…
Jeanine Rivais : Vous voyez qu’avec des objets de récupération, et un peu d’imagination, il est possible de faire toutes sortes de belles choses ! Le problème, c’est que vous êtes des citadins, et que vous ne voyez pas où partent les objets que vous jetez. Mais pour tous les artistes comme Raymond Reynaud que l’on appelle des créateurs d’Art-Récup’ et qui avaient l’habitude d’explorer ces décharges à la périphérie des villes, un problème de civilisation se pose gravement. Pour des raisons d’hygiène, elles ferment à tour de rôle! C’est donc toute une forme d’art qui va bientôt disparaître !
Une élève : Qu’est-ce que vous voulez dire avec vos peintures ? (elle regarde le tableau représentant un dompteur dans la cage du lion).
R. R. : Beaucoup de mes peintures viennent de périodes où j’avais peur ; d’une enfance où j’étais pauvre ! Et puis j’ai vu beaucoup de choses qui m’ont donné envie de les peindre telles qu’elles étaient dans mon souvenir. Je me suis fait beaucoup de littérature, au sujet de mes années comprises entre 1925 et 1935.
Jeanine Rivais : En somme, il y a dans les peintures de Raymond Reynaud toujours un peu de réalité, et beaucoup d’imaginaire. Je suppose qu’il en va de même pour toi si tu tiens un journal : tu y racontes un événement qui t’est arrivé, tu as envie de le transcrire, de le raconter avec tes mots. Raymond Reynaud, lui, même lorsqu’il était très jeune, n’écrivait pas avec des mots, il écrivait avec de la peinture. Et comme il avait un imaginaire très vif, il y avait chaque fois une sorte de transposition. Donc ce qu’il a peint comprend chaque fois un peu de réalité, un peu de réalisme, un peu de fantasmagorie.
Une élève : Qu’est-ce que c’est, la fantasmagorie ?
J. R. : De la fantaisie, de l’imaginaire, du rêve…
R. R. : Et surtout de la religion.
Une élève : A quel âge est-ce que vous avez peint votre première toile ?
R. R. : Je devais avoir à peu près douze ans ? Ma première toile représentait "Jeanne d’Arc sur le bûcher" !
Une maman d’élève : En somme, quand vous éprouvez de la colère ou de la joie, quand quelque chose vous impressionne ou vous tourmente, vous le transcrivez par un tableau ?
R. R. : Voilà, et surtout je le transpose par le thème des Sept péchés capitaux. Ils résument tous les défauts des consommateurs qui détruisent tout, qui ne respectent rien ! Nos péchés capitaux ne sont pas les mêmes qu’au Moyen-âge. Il y en a sept, et ce sont ces sept qui traduisent tous les défauts dans notre vie, dans notre civilisation de consommation et de gaspillage.
Le professeur : Est-ce que vous vous êtes toujours consacré seulement à la peinture, ou est-ce que vous avez exercé une autre activité ?
R. R. : L’autre activité a consisté à faire de la sculpture et de la musique.
J. R. : Je crois que Madame souhaite savoir si vous aviez un métier. En fait, Raymond Reynaud est ce que l’on appelle un autodidacte. Il était peintre en bâtiment. Mais ce travail qui est banal et sans imagination, et qu’il exerçait parce qu’il fallait bien vivre, ne lui suffisait pas. Il fallait qu’il aille « ailleurs ». Et « ailleurs » a été sa peinture. Tout son imaginaire a été consacré à la peinture.
R. R. : Tout de même, le métier de peintre m’a beaucoup servi pour la conservation des tableaux ; pour harmoniser les couleurs, parce qu’autrefois je travaillais avec de vrais pigments, ou des matières chimiques comme la chaux ou des colles à base de poisson, toutes sortes de produits naturels.
Une élève : Je trouve qu’il a beaucoup de tableaux ici. Il en a d’autres, chez lui ?
J. R. : Bien sûr, il n’y a ici qu’une toute petite partie. Tu te rends compte qu’il travaille sans relâche depuis 50 ans ! Ce n’est pas un loisir, c’est vraiment une occupation très prenante, une expression totale. C’est comme un poète qui n’a pas le choix de ne pas écrire des poèmes ! Pour Raymond Reynaud, il lui faut peindre ! Et je suppose que si on l’empêchait de peindre, il deviendrait fou ! Il a une maison dans le Var, absolument pleine de sculptures et de tableaux !
R. R. : Et ma femme m’a beaucoup aidé ! Car la vie n’a pas toujours été facile !
Une élève : Quelle est la dernière œuvre que vous avez faite ?
R. R. : C’est une toile de la colère, contre le monde qui nous entoure !
La même élève : Et vous étiez content de votre travail ?
R. R. : Oui, bien sûr. Surtout, je suis content d’être dans notre mouvement. Pas ce mouvement que l’on appelle l’ « Art contemporain » et qui suit un chemin différent du nôtre. La mouvance dans laquelle je me sens bien suit un chemin religieux et intérieur, alors que l’autre ne se préoccupe que de consommation.
Le professeur : Ce qu’il veut dire, c’est une autre philosophie de la vie et une autre philosophie pour son art.
J. R. : Et qu’il existe un art officiel, entièrement fait avec la tête, et dans un but essentiellement mercantile. Il y a bien longtemps que Raymond Reynaud aurait pu vendre ses toiles et devenir riche. Mais créer ces toiles correspond pour lui à une démarche mystique. Il vient de vous le dire en employant le mot « religieux ». Vendre une toile, c’est comme arracher un petit morceau de lui-même. Il n’a donc presque jamais rien vendu : en effet, il appartient à ce que l’on appelle « la mouvance hors-les-normes », c’est-à-dire complètement hors des circuits officiels, dégagée jusqu’à présent de cette volonté de vendre et de réussir à tout prix ! Raymond Reynaud ne peint pas avec sa tête : il peint avec son cœur. On dit qu’il « peint avec ses tripes », c’est-à-dire qu’il met toute sa psychologie dans son œuvre. Elle devient son histoire : comme il vient de vous l’expliquer, il vous dit « je n’aime pas le gaspillage », alors il va dénoncer le gaspillage. Lorsqu’un événement lui fait mal, lui met la rage au cœur, il le peint, c’est sa façon bien à lui de le dénoncer…
Plusieurs élèves : Il va le peindre… Il ne va pas utiliser les mots, il va utiliser son propre langage… c’est sa peinture…
R. R. : C’est ça ! Et puis si je vendais mes œuvres, je gagnerais beaucoup d’argent, et j’ai peur que l’argent me porte malheur… Il ne faut pas profiter de l’argent, il faut peindre pauvrement . Ce n’est que dans la pauvreté que l’on peut peindre sincèrement…
Le professeur : C’est une ascèse !
Une élève : Vous mettez combien de temps pour peindre un tableau ?
R. R. : Il n’existe pas, le temps ! Si le Bon Dieu m’aide, je trouverai très vite ce que je veux dire. Mais si le Bon Dieu n’est pas avec toi, tu mettras des mois et tu ne trouveras pas !
Une élève : Et c’est pareil pour les objets, pour les sculptures qui sont derrière nous ?
R. R. : Oui, bien sûr, c’est pareil ! C’est un gros cadeau qu’il te fait, le Bon Dieu, quand il te tend les bons matériaux pour que tout soit en harmonie, et que ta sculpture dise ce que tu voulais dire…
Quelle matinée ! Raymond Reynaud happé de tous côtés et Arlette discrètement présente comme à son ordinaire, étaient heureux de voir des préadolescents, plus habitués à l’ « art » médiatique télévisuel qu’à un travail aussi puissant, questionner l’artiste avec autant de curiosité. Finalement, la civilisation reprenant le dessus, il dut aller s’asseoir et écrire à tour de rôle un autographe sur des pages où, dans l’élan de la conversation, les notes s’étaient faites rares !
Et les visiteurs qui s’étaient approchés, amusés et intéressés, reprirent leur périple vers les deux « élèves » de Raymond Reynaud :
Lorsque, avec émotion et enthousiasme, celui-ci parle de l’atelier du Quinconce vert qu’il créa voici près de 40 ans et anima jusqu’en 1990, il affirme avoir toujours voulu pour ses élèves la plus grande autonomie. Et les avoir incités –un seul homme s’étant aventuré, en 30 ans, dans cet univers de femmes, il est grammaticalement obligatoire d’employer le masculin ! -- à trouver leur expression personnelle ! Incitation peu concluante ! Car, si nombre d’entre « elles » se sont lancées dans une création de grande qualité, la plupart ont été, de façon rédhibitoire, influencées par leur professeur ! Guru pour l’éternité, Raymond Reynaud avait invité deux d’entre elles à l’exposition de Rouen :
MONIQUE GOUTTE et MARTINE BAYLE
Des deux, il apparaît que Monique Goutte se soit le mieux arrachée à la structure chère à Raymond Reynaud : Ses œuvres, en tout cas, si elles ont conservé le côté foisonnant de sa création et une extrême concentration poétique, en ont perdu la symétrie.
Elle-même artiste médiumnique, Monique Goutte est à l’évidence portée par un irrésistible désir de peindre. Pour ce faire, elle semble avoir réinventé des rituels très proches des philosophies orientales et ses œuvres sont de véritables tantra sur lesquels elle exprime, « par l’union des deux principes masculin et féminin, la béatitude de ses créatures »*. Travail infiniment sophistiqué peint avec des précisions et des finesses de dentellière, véritables miniatures aux savantes mises en page, aux harmonies de couleurs fines, exquises et tendres, à l’onirisme délicat et courtois, à la richesse et la somptuosité des décors disposés comme des cadres autour des «histoires » « racontées ». Petits moments du quotidien ou instants de parfaite communion amoureuse d’un érotisme raffiné ; voyages dans de somptueux carrosses armoriés, tirés par des chevaux de légende richement caparaçonnés… ses œuvres attachantes emmènent le spectateur dans l’univers merveilleux des contes de fées ou en des épisodes vrais dont le réalisme s’enrichit d’exotismes et de baroquismes au fil desquels le visiteur se sent envahi de surprenantes nostalgies !
*Définition du « tantra » dans le dictionnaire.
Par contre, Martine Bayle est restée fidèle à l’esprit de Raymond Reynaud, et ses œuvres sont construites sur une extrême symétrie. Peut-être, dans ses dessins, l’artiste a-t-elle souhaité s’en libérer, mais l’axe est là, sans doute inconscient, partageant verticalement une tête animalière, suivant la courbe ovoïde d’un 8 pour marquer le « territoire » de deux personnages qui, pourtant sont intimement enlacés, etc… Mais les peintures semblent au contraire revendiquer ce rassurant équilibre : Ainsi de l’une d’elles où, de part et d’autre d’une monstrueuse tête (au sens littéral), s’étalent deux « nuages » parfaitement réguliers qui vont grossissant vers les limites de l’oeuvre, portant au coeur de chaque indentation de cette concaténation picturale et psychologique, un « noyau » semblable à un œil qui refléterait les fantasmes de l’artiste, et d’où émerge, comme incapable, lui, d’accepter cette pure géométrie, un personnage répétitif dont les membres filamenteux transgressent les limites du cercle et s’en vont fouir, telles des racines, les frontières de ces huis-clos. Bien que placés en posture symétrique de leurs vis-à-vis respectifs, s’agirait-il là d’une révolte inconsciente de ces êtres que l’artiste s’obstine à canaliser ? Mais leur désir d’évasion semble dérisoire, au regard de ces deux cariatides qui, aux deux extrémités, ferment de leur anatomie sinueuse et solide à la fois, leur horizon !
Ils sont, en tout cas les seuls à déployer une énergie physique dans ce monde totalement introverti où les énergies qui se manifestent sont toutes orientées de manière concave, comme pour fusionner au centre absolu de la toile. Ce faisant, Martine Bayle est une coloriste de grand talent qui, avec une maîtrise parfaite des graphismes et des harmonies, sait, en très peu de couleurs donner l’impression d’une grande explosion de tonalités !
Quittant le monde de Raymond Reynaud et de ses émules, le visiteur parvenait aux artistes voisins, et d’abord aux petits portraits d’
ADAM NIDZGORSKI
Simples, tellement simples que de prime abord, ils ressemblent à s’y méprendre à des dessins enfantins. Mais là apparaît, avec sa science intuitive des mises en scène, le second paradoxe de cette oeuvre: s’imposent alors les yeux des personnages, leurs gros yeux ronds pleins d’expressivité qui, tantôt pétillent de malice et débordent de joie de vivre, tantôt promènent sur leur environnement leur regard vague, leurs airs penchés comme dubitatifs ou leur fixité tragique! De tels yeux, s’ils peuvent certes, êtres ludiques et infantiles, véhiculent tous une si lourde charge de sincérité qu’ils appartiennent forcément à des gens ordinaires marqués par des stigmates de vies d’une poignante intensité.
Tout cela dans des noirs profonds ou de belles couleurs qui corroborent l’humeur de ces protagonistes. Car l’artiste est un coloriste talentueux : même en noir et blanc, ses oeuvres ont l’air d’être en couleurs : Il sait combiner d’infimes touches d’ocres pâles pour nuancer le blanc, des dégradés de gris pour ciseler le noir ; créer avec eux comme chez les poètes, des ruptures, silences, plages de repos lui permettant de s’isoler, prendre du recul par rapport à ses personnages... le contrepoint étant un véritable festival de cinabres et de carmins, d’indigos et de myosotis, d’ambres chaleureux ou d’oranges acidulés... en particulier lorsqu’il crée des tapisseries dont les grandes envolées l’emmènent inconsciemment vers son folklore polonais, oeuvres gaies, alors, stimulantes à la fois pour l’esprit et le coeur. Leur charme naïf, l’élégance de la broderie qui détermine les visages, créent un stupéfiant travail recto chamarré comme une légende du jour explosant de couleurs, et un conte de la nuit où seuls les contours des faciès se dessinent sur le verso de toile bise !
Et des collages enfin, quelques « groupes », portraits de famille pleins de tendresse et de joie de vivre, traduisant la même connivence : Clin d’œil, peut-être, pour rappeler, comme en attestent les pages du journal marseillais « Spectacle » sur lesquelles ils étaient collés, qu’Adam Nidzgorski qui souffrit longtemps dans les miasmes parisiens, est déménagé ; que désormais sa vie s’écoule sous le soleil méditerranéen ?
Puis venaient, presque en famille, les Lortet :
ROSE-MARIE LORTET
développe, avec ses tricots de fils multicolores, une œuvre conçue en trois axes essentiels : des masques, « petites têtes en l’air », visages flottants au milieu du vide de l’étoffe/support ; ses maisons de fil blanc amidonnées en des raideurs architecturales ; et surtout ses grandes compositions réalisées au gré de son imaginaire, sans dessin préalable, de personnages serrés, comme privés d’espace, impressionnants reliefs de mailles sur mailles sur… sorte d’histoire que l’on veut mener au bout mais qui s’interrompt un jour sans raison apparente, sans doute parce que l’artiste est parvenue à un rythme qui la satisfait ? Cette année, elle a choisi les « Têtes en l’air », personnages miniaturisés, disposés comme sur un jeu d’échecs dont un joueur nerveux aurait balayé de la main le bel ordonnancement. Tricotés si serrés qu’ils semblent impénétrables. « Attrapés entre les doigts et tirés »*, pourtant, sans que les intervalles aérés qui les séparent, parviennent à supprimer l’impression ressentie d’un manque de plénitude, d’une nervosité plus tourmentée qu’à l’accoutumée, où se trouvent toujours de grandes zones tranquilles !
Tendres et fascinants, néanmoins ! Suscitant chez leurs vis-à-vis une admiration aussi grande que leurs « grands frères », à la fois pour le dit obsessionnel qu’ils véhiculent, pour leur originalité, et pour l’incontournable technique de leur auteur !
Et, autre face de ce goût pour l’accumulation,
JACQUES LORTET
et ses « Cinquante-deux poulets prêts à cuire ». Etranges bestioles faites de bois, plastique, résine, terre, etc. et entassés en vrac comme d’authentiques marchandises. Faussement sérieuses, ou authentiquement ludiques. Pourtant, un peu inquiétantes lorsqu’elles se mettent à clignoter de leurs minuscules ampoules, comme dans ces films de science-fiction où des robots avancent en conquérants entre deux rangées d’autochtones immobiles! Curieuse preuve, là encore, de l’imaginaire multiforme dont peut faire preuve un créateur d’Art-Récup’ !
Dans l’espace contigu, se trouvaient
LES GENEALOGIES FANTASMAGORIQUES DE BERNARD LE NEN
Etrange circumnavigation que celle effectuée par le visiteur s’aventurant dans le monde de Bernard Le Nen ; un monde fantasmagorique où nul individu ne possède d’identité propre, mais où chacun est irréfutablement lié au précédent, en des ascensions comparables à des arbres généalogiques dont les branches s’entrecroiseraient de façon déraisonnable. Alors, fasciné tel un enfant qui, ligne à ligne, suit du doigt un texte un peu difficile, il va « épeler » ces enchaînements de corps aux gémellités capricieuses et déroutantes, comme il écarterait des fils pour essayer d’y retrouver celui qui démêlera l’écheveau. Et s’efforcer, malgré l’évidence de leur interdépendance, d’appréhender un à un ces allochtones dont le visage-masque polychrome est, d’œuvre en œuvre, récurrent. Et pour les réinstaller dans une communauté qui, bien sûr, ne saurait être que subjective !
Ainsi des Lécheurs de lune : deux petits personnages allongés pied à pied semblent secréter les plis du vêtement-corps d’un premier « adulte », lui-même allongé sur la traversée de la toile. De son nombril, jaillit une fleur qui traverse une sorte d’anneau ovale. Entre ses pieds, il darde une énorme queue-sexe qui pénètre dans le corps raccourci d’un autre sans doute masculin, puisqu’il a de grandes cornes. Celui-ci a deux visages, l’un de profil, le second dans la bouche du premier, encadré d’un anneau. Du cerveau, entre les cornes, surgit le suivant, dont le corps a la forme d’un triangle convexe, et dont la tête ovée génère une spirale qui s’en va vers la tête du personnage sortant de l’anneau ovale de tout à l’heure. Entre les jambes de celui-là se trouve une autre créature dans laquelle a pénétré la fleur : c’est une femme, puisqu’elle a des seins et elle engloutit également la spirale déjà évoquée. En même temps elle lèche la lune. Et, entre ses seins, s’agite l’immense langue de l’ « homme » dont les jambes sont issues du premier. Son corps et ses membres sont de profil, son visage au long nez se découpant vivement sur le fond. Mais ses yeux sont de face. Regarde-t-il, lui qui est en ultime position de cet étonnant entrelacs, son vis-à-vis, le visiteur médusé, perplexe, qui tente de résoudre ce rébus en en décelant les « étapes » successives ? Et qui, s’avançant vers le tableau suivant dont il envisage semblable difficulté, s’interroge afin de deviner si Bernard Le Nen s’amuse à voyager à petites marches scabreuses mais partiellement indécryptables, en gardant le doigt sur son pion pour prolonger le plaisir du suspense ? Ou si son inconscient l’entraîne, au fil de ses silhouettes de couleurs violentes ou de bruns énigmatiques fondus sous leurs vernis foncés, en des images implicitement érotiques et de surprenantes relations psychanalytiques ?
Quelle que soit la réponse, après ce long moment de confrontation avec la violence intuitive de ces compositions, ce visiteur en gardera longtemps la rémanence. Et, finalement, vu le nombre de questions non résolues, sera convaincu que sous l’aspect ludique et provocateur de ce périple labyrinthique, se dissimule une vie douloureuse et angoissée, un profond mal-être existentiel, à tout le moins un imaginaire mentalement perturbé et poétiquement vénéneux !
Venait ensuite l’espace consacré aux « portraits » et aux « paysages urbains » de
MARTHA GRÜNENWALDT
Totalement autodidacte, Martha Grünenwaldt appartient à ces dames âgées (comme M’an Jeanne en France, La Vieille Dame en Hollande, etc.) qui, un jour, tout à fait par hasard, se sont mises à dessiner. Et qui, incapables désormais de s’arrêter, ont couvert (couvrent) des milliers de pages, de dessins infiniment beaux et riches ; de « dits » complètement libérés de tout souci de techniques ou de conventions ! Ainsi, cette créatrice belge a-t-elle à 70 ans, commencé à dessiner en cachette, sur n’importe quels papiers, au dos d’affiches… avec les crayons de ses petits-enfants. Dès lors, elle a déployé une intense activité, et, avec beaucoup de fierté et de naïveté, distribué pendant longtemps aux passants, par la fenêtre de la maison de sa fille chez qui elle vit, une foule de dessins surprenants, jusqu’au jour où celle-ci s’en est aperçue et a décidé de conserver précieusement ces œuvres dans des cartons qui, très vite, sont devenus volumineux !
Et quels dessins ! Aux crayons de couleurs, stylos à bille, encres… Et, avant même d’avoir perçu l’ « histoire » portée par ces réalisations, quel régal pour les yeux du visiteur, que ces jeux de couleurs tendres et ces formes aux volutes compliquées ! Car, bien que très sûrement elle n’ait jamais entendu parler ni du mot ni du principe, l’effet cinétique que Martha Grünenwaldt a intuitivement découvert exige de l’œil, par ses trames si particulières, ses équilibres et ses impressions de volumes si inattendus, un temps d’accommodation. Et puis, consciemment ou non, dans le foisonnement de ses traits apparemment dirigés en tous sens, mais en fait parfaitement ordonnancés, elle a également imaginé tout un réseau exploratoire : Comme naguère, sur les éphémérides les enfants découvraient, à la fourche d’un arbre d’aspect anodin ici le visage d’un clown, là une tête d’animal… il faut s’approcher pour percevoir dans les bouquets polychromes de cette artiste, dans les cheveux / flammes de ses jeunes filles ou leurs têtes chapeautées…un fourmillement d’autres êtres délicats, d’individus lilliputiens, principalement des femmes, petites poupées-jouets, minuscules femmes-poupées émergeant d’un bouton de fleur, avec des robes et des coiffures très sophistiquées, des cheveux très ornés… Mais aussi des formes animales : groupées en des ensembles qui peuvent paraître aléatoires, mais qui deviennent le visage, la fenêtre, la tête de l’oiseau, le papillon ou le poisson se faufilant dans les fleurs, etc..
A plus de 90 ans, Martha Grünenwaldt continue assidûment à dessiner et à peindre quotidiennement. N’y a-t-il pas là un beau conte dont la fée serait une vieille dame au cœur et à l’esprit pleins de fleurs et de délicieuses fantasmagories ?
Le visiteur parvenait alors aux « portraits » non moins surprenants de
PAUL DUHEM
Etait-ce lui-même, ou était-ce quelqu’un d’autre, mais toujours le même alter ego que Paul Duhem peignit inlassablement, pendant les années à partir desquelles il fut, à plus de 70 ans, accueilli dans l’ambiance sécurisante de l’atelier de Bruno Gérard, à la Pommeraie, d’Ellignies Sainte-Anne ? Encouragé par l’artiste, il commença une création originale et inattendue qu’il poursuivit jusqu’à sa mort, en 2000. Etait-ce aussi la même maison –celle que, peut-être, il n’a jamais eue- qui revenait de façon récurrente sur ses dessins ? La même porte –qui lui aurait permis d’accéder à cette maison ? La même boîte aux lettres lui apportant des nouvelles du dehors ?
En tout cas, clef de voûte de cette iconographie sans doute très intuitive, il a réalisé des centaines de « portraits » de face, pris en buste à la manière des photos d’identité, tous construits sur un schéma identique : Sur un fond généralement monochrome et foncé appliqué à longs traits du pinceau, se détache un tronc monolithique, supportant sur les épaules sans cou, une tête petite mais lourde, au faciès souvent dissimulé sous une sorte de masque rigide dans une fente duquel n’apparaît qu’une infime partie de la bouche. Lorsque celle-ci est visible elle s’avère être composée d’un minuscule ovale coupé d’un petit trait horizontal. Les oreilles sont en pointe et largement décollées, à l’intérieur desquelles subsiste toujours une petite surface large comme une pastille, où le support est laissé vierge : ce possible orifice impliquait-il que Paul Duhem avait des problèmes d’audition ? Ou au contraire qu’il laissait un espace ouvert pour les bruits du monde ?… Et puis, presque rien, un nez terminé par deux minuscules orifices, des yeux faits de billes rondes avec un petit point noir au milieu, et parfois d’épais sourcils...
Comment, avec des traits aussi rudimentaires, et une telle raideur des personnages, ce créateur parvenait-il à traduire tant de nuances de caractères et d’humeurs, allant de (rarement) petites joies à des expressions (presque toujours) de tristesse ou d’épouvante, d’amour ou d’aversion… ? Cette question n’appelle en fait aucune réponse car cet autodidacte était incapable de se préoccuper du moindre « effet » spectaculaire ou factice : il peignait, tout simplement ! Ainsi a-t-il été l’auteur prolifique d’un travail obsessionnel, dont la répétitivité et l’immutabilité, la charge psychologique sont d’emblée perceptibles ! Cette œuvre, conçue avec une si grande spontanéité, une discrétion tellement marquée, n’a peut-être jamais libéré Paul Duhem de l’angoisse et de la souffrance nées de la conscience très forte de sa « différence » ; mais elle lui a permis de les accepter sans agressivité. Désormais, l’artiste a disparu, mais face à son évidente honnêteté et sa grande modestie, sa création si talentueuse continue de susciter chez le spectateur, une vive admiration et subséquemment, une intense émotion !
Le jour et la nuit ! Telle était l’impression reçue, en voyant côte à côte avec celles de Paul Duhem, les peintures des
« VOYAGES » IMAGINAIRES DE JABER…
Jaber que découvrit fortuitement Cérès Franco lorsqu’elle avait sa galerie de l’œil-de-Bœuf. Jaber qui désormais se répand dans tout Paris, sur le parvis de Beaubourg dont il se dit le Roi, dans les galeries, les librairies, les musées… Jaber et son travail primitif, très coloré dans des tons monochromes appliqués à larges coups de la brosse ou de la main ; jetés spontanément sur la toile ou le papier.
Depuis bien des années, se retrouve ainsi le même petit bonhomme à la tête de profil taillée à l’emporte-pièce, avec son grand œil naïf, son nez en trompette et son air mutin de poulbot qui explore son territoire ; le même oiseau perché dans le même arbre, près de la même maison ; parmi l’herbe et les fleurs à profusion. Et, sans doute parce que l’artiste voyage beaucoup mentalement, sont écrites en grosses lettres, comme autant d’étapes de ces itinéraires fantaisistes, des noms de personnes, de villes ou de pays : JAKLANG PARIS ALLEMAGNE AUVERGNE, sans oublier la signature JABER qui entre dans la composition du tableau et peut aussi bien décorer la coque d’un bateau à voile qu’orner le poitrail d’une biche. Et des dates, généralement deux, sans que l’on puisse dire s’il s’agit de la date de réalisation (assez invraisemblable) du tableau ou de celle à laquelle s’est « déroulé » le voyage « évoqué », ou simplement celle qui lui est passée par la tête à cet instant-là ?
Parfois, Jaber décide de « raconter » une histoire : Et ce sont alors sur un même plan (puisque, comme la plupart des autodidactes naïfs, il ignore la perspective) le Radeau de la Méduse, Don Quichotte/Jonas chevauchant à dos de cheval/Baleine ; le Petit Chaperon Rouge offrant sa galette au Loup ; un incident sur le Tour de France… ou une course éperdue dans une voiture à tête d’animal à l’énorme gueule ornée de terribles crocs et d’une interminable langue rouge, etc. Cependant que, par intermittence, une chéchia, une djellaba ou des babouches, rappellent les origines tunisiennes de l’artiste…
Mais d’autres fois, il « devient » photographe et réalise des portraits pris en buste comme les photos d’identité : Il sont féminins, bien sûr. Eux, sont de face, et les opulentes chevelures brunes et frisées encadrent des visages aux gros yeux, qui donnent aux personnages ainsi « représentés », un air vaguement ironique !
Parallèlement à cette saga très imaginative et répétitive, Jaber réalise une multitude de petites sculptures en papier encollé (les mêmes personnages que les peintures) ; têtes humaines, figures emblématiques ne comportant que la tête en équilibre sur le cou, reconnaissables à l’infini parce qu’il en a créé des… milliers ? des centaines à tout le moins ! Et que son nom y figure en caractères énormes par rapport à la dimension de l’objet !
Sans doute, comme tout un chacun, Jaber connaît-il des moments difficiles ? Mais son œuvre n’est qu’un grand éclat de bonne humeur, si simple et rayonnante, si bon enfant, si sympathique, si pleine d’humour, qu’elle semble mettre au défi le spectateur ou plutôt l’inviter à venir… dans le pré avec lui, pour y trouver le bonheur !
Plus graves et largement intellectualisées, les encres de couleurs d’
ANNE MURGIA
Lors de la précédente biennale, Anne Murgia avait proposé des œuvres de tricots, formes polychromes déstructurées, lancées sans relâche en des troncs et des branches torturés par de grands vents, et dans lesquels des personnages apparaissaient en filigrane.
Cette année, la même composition découpée se retrouvait sur ses encres de trois couleurs, rouge, ocre et bleu, aux entrecroisements labyrinthiques noirs, générateurs ici d’une tour penchée ornée de fleurs stylisées ; là d’une sorte de monstre marin sinuant dans des surfaces répétitives ; ailleurs un petit personnage aux yeux vairons d’être dans deux « espaces »à la fois, modestement drapé dans une cape dont la traîne se perd en un foisonnement de petits points noirs comparables à des notes de musiques qui danseraient sur des portées aléatoires…
De sorte que l’artiste semble affectionner ce monde à la fois si anarchique et si géométriquement contrôlé, dont les découpages enlèvent aux êtres qui les hantent toute réalité (au sens humain, bien sûr !) et les rendent difficiles à appréhender dans leur entièreté !
Beaucoup plus faciles à lire, et infiniment drôles et « morales », les histoires de
GERARD LATTIER
Gérard Lattier a vécu bien des heures mouvementées et difficiles qui semblent avoir chaque fois agi sur son intégrité physique. Ainsi, à six ans, a-t-il été partiellement paralysé, et à vingt-cinq ans est-il devenu temporairement aveugle ! Il semble que le deuxième avatar soit né de ce qu’il peignait des œuvres tellement terrifiantes qu’il a réussi à se faire peur ! Ne voulant plus voir le monde tel qu’il est, ni tel qu’il le représentait jusqu’alors, il a décidé de le transformer, et de s’en créer un dans lequel il aurait les deux pieds résolument enfoncés dans son terroir et la tête dans les étoiles. Et, en accord, enfin, avec lui-même, il a recouvré la vue… Depuis, il n’a plus quitté cet univers en marge, et, autodidacte, devenu créateur par nécessité vitale, il a émaillé son existence de « belles » histoires, des contes plutôt, puisés dans la vie campagnarde ou le quotidien populaire, centrés sur des histoires locales imaginaires comme la Bête du Gévaudan et autres monstruosités célèbres… Toujours sources d’horribles exultations…
A la fois peintes et commentées de textes en français ou en patois, calligraphiées en caractères d’imprimerie, ces œuvres ont, pour le lecteur-spectateur, la saveur jubilatoire de toutes les œuvres sulfureuses ! Histoires vraies ou qui auraient pu l’être, elles portent des titres évocateurs : Ainsi, « Tuer les morts » réalisée autour de celle de son père pendant la guerre. (La bombe qui l’avait enseveli sous un tunnel où il se croyait sauf avait en même temps déterré une petite fille décédée lors d’un précédent bombardement) ; ou « Voilà pourquoi je raconte des histoires » expliquant comment, parlant de la Guerre d’Espagne, il avait littéralement tiré de sa torpeur un vieil Espagnol à demi-mort de désespoir ; ou encore « Histoire pour décourager les gens de venir l’été en Ardèche » où il racontait avec force détails, le plaisir d’une jeune fille se baignant dans la rivière et… découvrant bientôt qu’à ses pieds, dans l’eau, se trouvait un cadavre en décomposition !
On pourrait ainsi pendant des heures lire / voir les aventures scripto-picturales de Gérard Lattier devenu depuis plusieurs décennies, la figure emblématique du Petit Musée du Bizarre où son ami Candide ne tarissait pas d’éloges et d’anecdotes sur la vie et la verve humoristique et si endiablée de son poulain... sur cette création à la fois naïve et brute, où chaque « histoire » ressemble à ces ex-voto populaires dont la vocation est à la fois de conserver la mémoire collective, la transmettre pour le meilleur et pour le pire ; et, selon l’imaginaire de celui qui les « reçoit », l’emmener loin du quotidien en de bouillonnantes fantasmagories !
(Candide qui a quitté notre monde au printemps 2002, nul doute pour une autre galaxie où l’anarchie, l’humour, la convivialité lui seront de bons amis…)
Venaient ensuite, les
PEINTURES ET SCULPTURES EROTIQUES DE CISKA LALLIER.
Il semble que Ciska Lallier ait vécu pendant de nombreuses années, une errance à la fois physique et psychologique. Revenue vers ses racines méridionales, elle a conforté une œuvre jusqu’alors à peine ébauchée.
Une oeuvre dont la préoccupation principale est la femme, le corps de la femme ; comme s’il constituait à lui seul l’identité de son être terrestre. Nue la plupart du temps, elle présente un galbe idéal aux longues lignes souples, aux seins idéalement modelés. Mais en même temps elle est conçue de telle sorte qu’il est impossible de dire si elle faite de cristal à travers lequel seraient visibles les éléments anatomiques vitaux ; ou si simplement, de la tête aux pieds, son corps est tatoué, et peut-être alors, faut-il considérer le sens originel de cette mutilation : protéger celle qui se l’inflige ?
Quelle que soit la réponse, la femme semble entièrement assujettie à ce corps : tantôt, faite de dentelle bizarre, dont la délicatesse, l’élégance mettent d’autant plus en relief la violence à laquelle il est soumis ; tantôt, véritable « Fleur ouverte », elle se présente les deux jambes écartées, dévoilant son sexe-pétale aux lèvres bordées de fleurs. Sa peau n’est alors qu’enchevêtrements, enlacements de fleurs. Elle est là, complètement offerte, sur fond de petites fleurs également, et ses grands yeux largement épanouis en forme d’amande, sa bouche lourdement maquillée disent qu’elle est prête pour l’amour. Mais, antithèse de ce moment qui pourrait n’être qu’un répit érotique heureux dans le cours de sa vie, elle ressent aussitôt le « Désespoir d’être femme » et, sous un soleil rouge-sang plaqué sur une vague lune, son corps noir renversé en arrière, ses cheveux magnifiques tombant jusqu’au sol, semblent participer d’une bacchanale endiablée, danse de possession au cours de laquelle elle devient une sorte de poupée disloquée, d’araignée, etc. Et, dans l’œuvre suivante, faut-il croire que la « possession » a bien eu lieu, que son corps devenu squelette tourbillonne autour d’un soleil lançant ses rayons électrisés au-dessus de ce qui pourrait être un tribunal car y sont alignés cinq morts : On ne voit que leurs dents et leurs gros yeux vides. Dessinés sur un fond de minuscules traits qui se diffractent à partir d’un point situé entre les deux personnages centraux, ces morts sont partiellement couverts de ce qui ressemble à des nuages de cendre… Et tous ont un cœur… Un cœur, toujours, dans ce corps si mal/traité !
Pourtant, il y avait aussi un esprit en Ciska Lallier. Qui, apparemment souffrit mille morts avant de quitter définitivement ce monde. Comment vécut-elle cette sorte de soumission de ce cœur et de cet esprit aux forces du mal qui semblaient la hanter ? Ses fantasmagories les plus noires ne l’entraînaient-elles pas en des rêves cauchemardesques ou d’effrayantes réminiscences de croyances primales ? Ces multiples peintures et dessins qui ont jalonné sa vie lui ont-ils permis de la juger plus supportable ? Toujours est-il que la femme récurrente sur ses œuvres doit traverser de bien dures épreuves : elle se dissimule parfois derrière un masque de chat ; Elle devient chauve-souris et se retrouve dévorée –la femme dédoublée, elle « dans », et elle « sur » elle- par des sortes de loups cornus qui prennent appui sur ses ailes… Elle est, dans un jardin agressée par un diable… Elle est, sur fond de rideau de théâtre, dévorée sans trêve par une hydre et son corps progresse tout au long de celui, démesuré, de la bête aux énormes crocs… Elle est, dans le cadre étouffant de tentures murales couvertes de végétations inextricables aux lourdes fleurs vénéneuses, déchiquetée par d’énormes varans qui, en même temps s’entre-dévorent… Elle est, dans les ruines d’un temple grec, enlevée par une girafe… Elle est, dans l’interstice d’une flore monstrueuse, éventrée par une gigantesque araignée… Elle est, sur fond de porte de prison, transpercée par une licorne… Elle est… Elle est… Et sur entrelacs de lianes, elle est emportée par la mort…
La mort qui dut être omniprésente dans la vie de Ciska Lallier ! Comment alors, au vu de ces œuvres si dramatiques, si psychanalytiquement violentes ; de ces « récits » picturaux si introvertis, ne pas imaginer l’artiste tentant de protéger la femme de ses démons ? Ne pas la voir, penchée sur sa feuille, réaliser jour après jour ce travail aussi infiniment précieux que les dentelles qui y reviennent si souvent ; tentant de retrouver au fond de sa mémoire pour les exorciser, les affres de ses nuits ; en rendre compte en une sorte de journal où le dessin aurait remplacé l’écriture ; chasser par tous les moyens son mal-être… Et souffrir, peut-être un peu moins de l’avoir dit ? N’est-ce pas là, malgré tout, ce que l’on appelle « descendre aux enfers » ?
Enfin, la sculpture reprenait ses droits avec les œuvres d’Art-Récup de
Individus grandeur nature, ces œuvres sont lourdes, sans souplesse. Dures comme le métal ou le bois qui les composent. Car apparemment, l’artiste hante les décharges ou ateliers désaffectés, à la recherche de matériaux, anciens chevrons, vieilles scies ou pelles, clochettes, etc. Seuls, les cheveux qui entourent presque totalement les corps, sont en matières souples, raphias ou fils, mais toujours teints en noir. Et leur longueur en fait des sortes de haires sans grâce dont sont indifféremment « vêtus » hommes et femmes; tandis qu’émergent à peine de cette masse, des visages petits par rapport à la taille des personnages, aux traits à peine ébauchés.
Etrange civilisation, apparemment dépourvue de chaleur et de convivialité. Mais qu’attendre d’un monde où l’homme rejette ce qui fut naguère l’apanage de son amour du travail ? Sous ses airs rigides et sans âme, le peuple de Jean-René Laval, témoin de ce gaspillage, n’est-il pas tout simplement désespéré ?
*****
Et, après ce périple talentueux et multiforme, le visiteur se retrouvait au premier étage, là où exposent à chaque manifestation, essentiellement des ateliers d’Art-thérapie. Mais auparavant, peuplant l’entrée, il était accueilli par le monde en esclavage de
BADIA
Qu’est-il arrivé à Badia ? Est-ce d’avoir quitté l’incertitude des squatts parisiens où elle avait coutume de vivre dans une relative indifférence au monde qui l’entourait ; et gagné la sécurité d’une grande usine désaffectée en Normandie ; qui a provoqué en elle une sorte de prise de conscience socio-politique et subséquemment un changement extraordinaire de son œuvre ? Quiconque suivait depuis des années son évolution reconnaissait immédiatement ses créations tellement colorées : personnages gigantesques, sièges énormes, objets divers, de résine ou de papier encollé, grandes créations éclatantes et lumineuses.
Nul n’aurait donc songé à elle de prime abord, en se trouvant devant un village entier d’individus noirs comme le charbon avec ici ou là un objet blanc qui ressemble à de l’ivoire, et entoure un bras ou une jambe à la manière d’une attelle que l’on aurait installée pour ressouder un os ! C’est bien elle, pourtant, qui a conçu ces individus anonymes choquants de maigreur. Car les os saillent sur les anatomies dénudées de ses êtres souvent enchaînés, ou menottés ; tellement usés par le labeur sans doute que, par un étrange mimétisme, leur corps a pris la forme des outils qui illustrent leur métier (pieds-pelles, etc.). Ils sont positionnés pour le travail, pour la lutte, pour l’amour… Leurs doigts interminables sont écartés comme dans l’énervement d’une conversation. Leur peau est parcheminée d’être restée trop longtemps au soleil. Ils sont privés d’yeux, souvent, et pourtant leurs traits mobiles tellement expressifs, ne laissent aucun doute sur la souffrance qui est la leur … Ils sont très grands, pour la plupart ; tout petits quelquefois, mais déjà dans des attitudes analogues à celles des adultes, comme si, dans le monde de Badia, le temps de l’enfance n’existait pas. Et pourtant, les bébés ne semblent pas privés d’amour, à en juger par la sérénité des visages des mères qui les portent emmaillotés contre leur estomac. Un monde d’esclaves, à l’évidence ; ceux dont on avait coutume de lire dans les livres les dramatiques histoires ; ceux qui, derrière des barbelés ou des frontières étanches traînent aujourd’hui encore, leurs vies désespérées…
Et le visiteur, un moment dérouté par une mutation aussi spectaculaire, est béat d’admiration pour la performance technique d’un tel travail, et la puissance de ce qu’il exprime. Il trouve aussi étonnant qu’une artiste qui, certes, fut toujours marginale, soit devenue si fortement dénonciatrice de la société. Il ne lui reste qu’à se rendre à l’évidence et conclure avec philosophie qu’en couleur ou en noir, le talent ressurgit toujours !
Nombreuses étaient, à l’étage, les œuvres d’Art-Récup, comme si tous ces objets cassés, déchirés, rejetés par la société… répondaient en écho à l’esprit de ces créateurs pour qui le monde ne tourne pas toujours rond !
Celles, fines et verticales, toujours humanoïdes, de Bertrand THOMASSIN.
Celles, lourdes et énormes, de Vincent PRIEUR qui, cette année, avait décidé de « partir en voyage », à pied seul ou avec sa belle, à cheval, à moto, à cheval, ou carrément en train !
Œuvres pleines d’humour, (Le motard), très psychanalytiques (Le fruit de mes entrailles) fait à partir d’une racine et montre des tripes se répandant abondamment…Un vrai travail artistique, extrêmement élaboré, de bois, ficelles, pierre ponce, etc. le tout agencé avec des gros clous ; entouré de raphia enduit de peinture noire ou de goudron. Un régal pour les yeux et pour le moral !
Et puis, les séries de petits objets en métal : Le Dromadaire, Le petit cheval ,de Laurent GODEFROY ; le Village, de Romain COCHARD ; un petit château, le chien, la girouette de Lucky Luke, La Sorcière en métal de Sébastien SOURDAUD, une Voiture d’Aurélien EGOT, le foot de Sébastien DELAMARE, Ma voiture de Marie REMY, Le Perroquet de Frantz VERDOJAK , Rygby de Nicolas FLAMENT.
Enfin, belles à faire rêver et à faire peur, les sculptures de Pascal PROMARD. Enormes, bi-faces, un côté étant le visage et l’autre le bas du corps, comme si les personnages étaient coupés en deux parties ; visages hurlant au fond de ce qui est peut-être un ventre ou un sarcophage ; têtes séparées du corps ; bras à la place des jambes… Sorcière au sourire de travers ; aux cheveux toronnés sans qu’il soit possible d’affirmer si la chevelure part de la tête et s’enroule jusqu’au-dessous des pieds ; ou si ce sont des boyaux partant du sexe à la manière d’un placenta qui s’enroulerait autour du visage et remonterait jusqu’à la tête… Mettant en scène des vieux ; des brèche-dents comme ce personnage à la veste bariolée, dont les yeux suivent le spectateur où qu’il aille ; des hagards ; des personnages tronqués, tordus, et toujours ligaturés dans des fils, parce que l’artiste étouffe dans son monde, dans sa vie et, tel un claustrophobe tente en vain de briser ces fils…
Peintures en reliefs ou sculptures, les oeuvres de Pascal Promard sont d’une rare violence psychanalytique. Si l’on considère qu’il les crée dans l’exiguïté d’une chambre, pas étonnant que ses relations avec le monde soient plutôt tendues !
A la fois peintre et sculpteur, Philippe DEFLANDRE proposait une série de minuscules sculptures en terre, très peu élaborées, très gestuelles, aux visages très expressifs. Et des dessins au graphisme très rectiligne, aux larges aplats de couleurs franches. Comme un historien, il « parle » sur le papier de châteaux-forts et de Gaulois, d’églises, de bateaux, et de musiciens, créant ainsi pour son plaisir personnel, des sortes d’ethnographies très particulières.
Très fines, les œuvres de DE SANTESTEBAN parlent de l’Homme de façon très obsessionnelle : Monde citadin aux murs couverts de « fenêtres », de graffiti ou de signes cabalistiques. Un travail fin et obsessionnel, strié de fines rayures, de petites ondulations, de décorations architecturales… Où, l’homme est enfermé, tour à tour plongeant d’une main dans la serrure/nombril d’un immeuble, et tentant de ses bras démesurés de se hisser sur la toiture d’un autre… Accroché, déformé comme un ectoplasme en lévitation au long d’une rue… Se promenant nu avec sa fiancée dans un jardin bordé de fleurs indéfinissables, mais dont aucune porte de sortie n’est visible… En gestation dans le ventre d’une femme/bouteille, mais allongé dans un cercueil ? sur un lit ? tandis que des mains à l’infini se tendent vers lui comme pour l’agripper… En costume du Grand Siècle, mais cerné par les pierres des murs de ce qui pourrait être une geôle, etc. Bref, un monde de pierre et sans doute de béton, où l’artiste a bien du mal à vivre !
Fabrice FOSSE est, à l’infini, l’auteur de petits portraits en pied, de minuscules personnages rouge-orangé sur fonds noir et bleu ou rouge lie-de-vin. Un être unique occupe tout l’espace. La silhouette de chacun est dessinée d’un fin trait de crayon de couleur, trembloté de façon paradoxalement très sûre, comme s’il était hors de question d’imaginer une ligne droite. Des « anomalies » anatomiques font que ces individus ont trois doigts, parfois trois bras, mais le troisième est jaune. (s’il existe un élément extérieur, il est jaune) Il s’en va vers la bouche sans qu’aucune indication laisse deviner s’il appartient bien à cet individu ou s’il est surajouté. Ou bien les bras partent directement des ailes du nez, se tordent en des positions gymniques surprenantes... Ici, l’un a deux têtes ; là, une tête ou un petit personnage entier sont à la place du sexe ; ailleurs, un autre est tête bêche (avec son double ?). En de rares cas, la bouche de guingois est fermée, mais la plupart du temps, elle bée, armée de grosses dents qui lui donnent l’air de rire ou de vouloir mordre ! Ainsi, l’artiste développe-t-il une gentille révolution corporelle qui l’emmène tantôt vers un doux érotisme, tantôt vers le sentiment que son corps et sa tête ne sont peut-être pas les meilleurs amis du monde ?
Beaucoup plus enclins à jouer, les pantins découpés et mobiles. Ce sont les mêmes personnages que les peintures, mais plus grands, et en relief, et il s’y adjoint des animaux. Là l’érotisme est plus direct, de la vache à son pis à l’homme dont le sexe se termine par un énorme gland rouge ou la femme qui a le sien en cœur…
Une œuvre gaie et confusément inquiète, ludique et sérieuse, attachante dans tous les cas.
De très belle qualité, vivante et diversifiée, le reste de l’exposition s’imposait comme partie d’un grand crû !
Plusieurs peintures expressionnistes, brossées à grands traits du pinceau : Le Guerrier chinois de Sophie COINTET et la tortue d’ELISHEB ; les états d’âme de Didier DUJON ; le personnage très romantique d’un Anonyme…Alain COURCHEVEL, si proche d’Hartung…
GUILLAUME et son abstrait rouge dans des nuances lie de vin, intéressant travail sur la matière ; et sa femme réduite à une immense ligne fermée, sans bras, sans seins, sans sexe doublée d’une espèce de flammes de tous côtés, et striée de barres noires entre les jambes indiquant que là, peut-être, se situe l’interdit ?
D’autres abstraits, également : Anty, Fred, Christophe Lambert, Véronique, Epikpan dont les éléments décoratifs sur fond bleu font penser à un détail de la Chapelle Sixtine , Zoé, La Mar’elle.
Et puis, le réalisme poétique de Catherine Hailly, et ses empreintes de feuilles, légères, laissant paradoxalement vierge une moitié de la toile. Une œuvre colorée, rythmée ; de Herdji : petites bandes sur papier, dont la première est constituée d’éléments différents suggérant des bateaux à peine évoqués. La suivante, de personnages qui se détacheraient, puis quatre bandes floues d’où ne surgissent que des éléments naturels rappelant des rochers. Et les trois autres bandes, qui reproduisent le même schéma que la première .
Les recherches « ethnographiques d’un autre Anonyme ; de Kem et son grand masque aveugle, jaune sur fond de nuage, de Philippe dont le masque a l’air de jaillir, nervuré, mais sans yeux.
Les œuvres descriptives de Delphine, JPM, JC, Aza…
Les fables de RENAN SUIGNARD : Série de petits tableaux liés à un titre/citation dont une série est une illustration, vers à vers du poème de La Fontaine « Le Loup et le Chien ».
Un loup n’avait que les os et la peau…
Un dogue aussi puissant que beau…
Et lorsque ce créateur quitte La Fontaine, il se lance avec humour et gravité, dans une nouvelle suite « Le défilé des Corps constitués »…
Celles, beaucoup plus littéraires, proches des contes de fées de Corinne VERON et son personnage-chat qui symbolise le diable, tenant une croix dans les flammes , avec une queue terminée en flèche. Elle déploie au fil des œuvres, toute une mystique autour de la naissance du diable, avec des mains qui saisissent des chouettes, des personnages crucifiés, un ermite dans le désert, Pégase chevauché par un personnage-oiseau duquel émerge le diable… Le Diable ! Lui, toujours, engendrant une lutte dont, vraisemblablement la créatrice ne sort pas indemne.
De beaux dessins très travaillés, très ouvragés, au crayon de couleur.
Enfin, des portraits :
Ceux de Didier DUJON, portraits d’un mort-vivant, le Christ avec sa couronne, un œil qui pleure et la barbe faite de traits de peinture irréguliers. Affirmant « Le Chaos dans ma tête » l’artiste représente ce chaos par un bâtiment en train de s’effondrer au milieu, en effet, d’un chaos de peinture…
Ceux de WLADIMIR : peintures vernies, apparaissant de prime abord comme abstraites mais d’où émerge ensuite un visage plus clair, complètement irrégulier, comme passé au forceps. Et malgré qu’il soit né, à peine extrait de sa gangue… Parfois, comme pour rendre ce portrait encore plus illisible (ou plus violemment lisible), l’artiste a redessiné par-dessus ce qui semble bien être un sexe !
Ceux d’Alif, de Yann MORELLE, très intellectualisés, femmes couchées en des poses + très érotiques.
Et, parmi les objets divers comme des personnages-lampes tels des ex-voto qui se succéderaient sur un mur, où seuls s’affirment des prénoms, ceux d’Anamo, d’Ahmed, Nathalie, Mohammed eux gros yeux globuleux, etc.
Enfin, comme un grand cri de joie libérateur, placés en rideau de scène derrière l’estrade où se déroulaient concerts et théâtres, les compositions de l’atelier Arimage.
Une très belle exposition qui sait allier une création libre et marginale, à une autre peut-être plus douloureuse, plus nécessaire encore, mais aussi protéiforme et riche de talents !
JEANINE RIVAIS
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 72 TOME 1 DE FEVRIER 2003 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.