ALAIN BOURBONNAIS UN HOMME, UNE COLLECTION, UNE PASSION
par Jeanine Rivais.
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Court résumé de l’histoire de la Fabuloserie et de son fondateur.
Imagine-t-on qu’un architecte, jeune, « officiel » puisque « Architecte en Chef des Bâtiments civils et Palais nationaux », puisse mener une double vie ? Construire la Stella Matutina, fort belle église de Saint-Cloud, un théâtre en Normandie, un quartier entier à Auxerre, etc. et se réfugier chaque fois qu’il le peut, dans le petit village de Dicy (Yonne), pour y façonner, à partir de matériaux de récupération, de gigantesques personnages bedonnants, hilares, érotiques, rabelaisiens, en somme ; auxquels il donne entre autre le nom de « Turbulents » ?
Tel est le cas d’Alain Bourbonnais qui serait peut-être demeuré un créateur solitaire à ses moments perdus, s’il n’avait lu dans Le Monde, une chronique lui apprenant l’existence d’une Collection de l’Art Brut ; les problèmes rencontrés par Jean Dubuffet, fondateur de cette collection ; l’impossibilité de l’intégrer au patrimoine culturel français, et l’obligation subséquente d’en faire don à un autre pays, la Suisse en l’occurrence.
Immédiatement intéressé, Alain Bourbonnais sollicite l’autorisation de visiter la collection avant qu’elle ne quitte la France. Il joint à sa requête des photos de ses fameuses créatures. Enthousiasmé, Dubuffet lui répond : « Les photographies de vos ouvrages que vous m’avez communiquées, m’impressionnent vivement. Ils sont tous orientés sous un vent qui est celui de l’Art brut et qui est aussi mon vent… »
Des rencontres qui suivent, naît chez Alain Bourbonnais, l’envie de créer, lui aussi, un lieu consacré à des créations marginales. C’est fait un an plus tard, où il ouvre rue Jacob à Paris, une galerie qu’il baptise « Atelier Jacob » ; avec l’appui moral de Jean Dubuffet, heureux que ce lieu prenne le relais de sa collection prête à partir ; et qui lui envoie une liste d’œuvres de 35 créateurs d’Art brut vivants, afin de les exposer.
De son côté, Alain Bourbonnais commence à prospecter. Les œuvres qu’il recueille mettent peu à peu en relief, le champ pris par rapport à celles de Dubuffet : cherchant dans la campagne, il fait de nouvelles découvertes, collecte des œuvres non pas psychiatriques, mais de solitaires, d’inconnus au-delà des limites de leur village ; offrant néanmoins une création si proche des réalisations asilaires, que Dubuffet lui écrit : « Je ne m’explique pas comment vous arrivez à dénicher tous les si divers et tous excellents opérateurs qui se retrouvent dans l’orbite de votre atelier Jacob… »
Les années passent. En 1978, Alain Bourbonnais et Michel Ragon sont les instigateurs d’une très importante exposition au Musée d’Art moderne de Paris ; intitulée « Les Singuliers de l’Art ». En quelques mois, 200 000 personnes la visitent.
Pourquoi les « Singuliers de l’Art » ? Jean Dubuffet, bien qu’amicalement concerné par les démarches d’Alain Bourbonnais, lui avait interdit comme à quiconque, l’emploi de l’expression « Art brut » qu’il réservait aux œuvres de sa collection. Dès le début de l’Atelier Jacob, ils avaient ensemble prospecté d’autres vocables : « Art spontané », « Invention hors-les-normes », « Invention spontanée », « Art hors-les-normes », « Productions extra-culturelles », etc. Roger Cardinal avait par ailleurs proposé « Art isolé », « Racines de l’Art », « Franges de l’Art », « Art marginal », etc. D’autres s’étaient pris au jeu et avaient pimenté la recherche, comme le poète André Laude qui avait suggéré « les Imagitateurs »…
Finalement, Alain Bourbonnais avait, pour résumer la singularité de sa collection, retenu « Art hors-les-normes » qui « sonnait », disait-il, « comme la Basilique hors-les-murs » !
… Avec le sentiment, eut-être, de ne plus pouvoir, à Paris, agrandir le cercle des passionnés, Alain Bourbonnais décide, en 1983, d’installer dans sa maison de campagne, toutes les fabuleuses richesses qu’il a faites siennes… Œuvres fabuleuses… Fabuloserie… Voilà le lien établi, la maison et le parc investis !
Au fil des années, La Fabuloserie s’est agrandie. Les peintures ou sculptures intra muros se sont multipliées (en particulier, deux pièces sont désormais consacrées à la collection Simone Le Carré-Galimard ; une autre aux étranges architectures de coquillages de Paul Amar). Le parc a vu croître le nombre de ses habitants de pierre, de bois, etc. comme l’ « Espace en plein air » des Portal… Si humains, bigarrés, grimaçants, drôles, féroces… ; ou gentiment provocateurs. Des œuvres immenses ont trouvé leur place sur les murs d’enceinte, tel le « Mur présentoir » des Portrat (sujets de ciment avec incrustations), etc. Et surtout, au fond du parc, au-delà de l’étang dans lequel de nouvelles œuvres se reflètent chaque année, se dresse comme un lieu onirique et la promesse d’un moment magique, « le Manège du Petit Pierre ».
Presque vingt ans (ils seront célébrés en 2003) après sa création, la Fabuloserie a quitté et fait quitter l’anonymat au petit village de Dicy. La voilà désormais un musée à part entière, dont la réputation a franchi les frontières, sous l’oeil vigilant et grâce à la passion naguère partagée avec son mari et perpétuée après la mort de celui-ci, de Caroline Bourbonnais, égérie de la première heure de cette aventure, témoin et actrice de cet intérêt pour des inconnus, des anonymes qui, sans le couple Bourbonnais ne seraient peut-être jamais allés au-delà des murs de leur jardin.
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VISITER LA FABULOSERIE !
Visiter la Fabuloserie, c’est danser, très rythmée, une valse à trois temps :
Au premier temps, c’est effectuer à petites étapes gourmandes et jubilatoires, dans des salles dont l’exiguïté convient parfaitement à l’esprit des œuvres proposées, le parcours parfois amusant et attendrissant, d’autres fois inquiétant, parmi les personnages. Toujours stimulante et dépaysante, cette escalade labyrinthique du seuil au toit, traduit dans leurs multiples facettes, les angoisses et les joies de tous les créateurs anonymes qui se sont rassemblés là ; l’inconscient de petites gens qui, souffrant trop dans leurs quotidiennetés, ont un jour pris du papier ou de vieux objets récupérés ; et se sont mis par ce truchement, à exorciser leurs souffrances !
Au deuxième temps c’est, une fois franchie la porte d’une grande remise, se trouver dans le monde truculent des « Turbulents » : violemment colorés de rouge et de noir, immenses, ils sont là, gros seins tendus avec ostentation, zizis bandés, copulant, s’entrouvrant… s’offrant à qui mieux mieux sous le regard ahuri et égrillard du visiteur qui n’en peut mais ! Car la réaction est la même, de plaisir et de surprise, que l’on entre là pour la première ou pour la dixième fois !
Après le temps des émotions fortes et des désirs à vif, vient le troisième temps, celui de la tendresse, de la poésie, avec le Manège du Petit Pierre. Celui de l’attendrissement, en pensant à ce jeune homme si fortement handicapé dont l’imaginaire s’est sublimé dans la réalisation de cet incroyable manège. Celui de l’étonnement pour la prouesse technique que représente un tel fonctionnement. Celui, de l’émerveillement pour les détails, car rien n’est plus drôle que de voir pédaler à toute allure les petites pattes des vaches ; de chanter en regardant danser les couples ; de « voyager » au gré des évolutions des avions ; de suivre dans leur phonétique parfois inattendue les conseils et explications toujours pittoresques … Bref, c’est là le temps de l’admiration pure et simple, celui du retour à l’enfance.
N’est-ce pas là la quintessence des émotions ?
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ALAIN BOURBONNAIS
UNE EXPOSITION HORS-LES-NORMES AU MUSEE SAINT GERMAIN D'AUXERRE
Le printemps les a fait sortir de leur abri : les Turbulents d’Alain Bourbonnais ont quitté la Fabuloserie, une partie d’entre eux, du moins, et se retrouvent, entre peintures, sculptures diverses, dessins, etc. sous les voûtes séculaires du Musée Saint-Germain, à Auxerre.
Fabuleuse exposition, inaugurée dans une grande convivialité sous la houlette des différentes autorités du département : Et qui commença, comme il en va toujours en France, par des discours.
Le premier fut prononcé avec un bonheur et une fierté évidents par Madame Durand, conservateur du musée :
« Il y a un an, s’achevait en Allemagne, au Musée de Bochum, une exposition rétrospective sur Alain Bourbonnais, et toutes ses facettes d’architecte et d’artiste. Mais également, sur la passion, partagée avec sa femme Caroline, qu’il portait à l’Art hors-les-normes, comme il l’appelait, collectionné avec un amour boulimique dans la Fabuloserie, dont il disait : « C’est mon bazar, mon boudin, ma coulée de lave, ma nourriture, elle suinte de moi ». Le Conservateur du Musée de Bochum avait souhaité, lorsque nous nous étions rencontrés, que d’autres musées de France puissent être associés au projet. Quoi de plus naturel que de provoquer une rencontre avec le musée d’Auxerre ? Premier chemin, première idée jetée.
En 2000, Jean-Claude Delagneau a monté Le Médecin malgré lui de Molière au théâtre d’Auxerre, en utilisant une partie des Turbulents, personnages grotesques qui peuvent être habités par un comédien, et répondre ainsi au rêve d’Alain Bourbonnais dans les années 70, de créer avec eux un spectacle de danse pour la rue. Des photos de Gilles Puech et une vidéo gardent la mémoire de ce second chemin.
En 1996-97, une étudiante en histoire de l’Art de l’Université de Bourgogne, Sandrine Cartier, travaillait un mémoire de maîtrise, intitulé La Fabuloserie, ou l’histoire matérielle et conceptuelle de la Collection d’Art hors-les-normes rassemblée par Caroline et Alain Bourbonnais. Travail passionnant, qui replace la collection dans le contexte de l’Art brut, rappelant par exemple, la rencontre de Jean Dubuffet et d’Alain Bourbonnais, qui introduit à la multiplicité de celui-ci qu’il soit Architecte des Bâtiments civils et nationaux, créateur ou collectionneur. Ce mémoire raconte également l’histoire de la Fabuloserie, lieu bien vivant du désir, de la passion des plus humbles, et de l’imaginaire.
Enfin, quatrième chemin, quatrième confiance, au Théâtre d’Auxerre, cette semaine, sur un texte de Suzanne Leveau et mis en scène par Gervais Gaudreau, était présentée la vie de Petit Pierre, né à moitié aveugle, sourd et muet, moqué, rejeté, mais dont Suzanne Leveau nous dit : « J’aime Petit Pierre, il parle de la vie envers et contre tout, plus puissante que la faim, le froid et la guerre. J’aime le manège : il parle de l’art qui respire en chacun de nous ». Ce manège de Petit Pierre, construit pendant trente ans de sa vie, avec tout ce qu’il pouvait trouver, a été sauvé de la destruction par vous, Caroline et Alain Bourbonnais, avant la disparition d’Alain Bourbonnais. Au premier étage de l’artothèque, je vous inviterai tout à l’heure à découvrir le travail d’Estelle Ogura, jeune photographe, qui présente des photographies sur le manège de Petit Pierre. Ces photographies constituent bien sûr pour nous, un accompagnement naturel de cette exposition. Je suis allée voir le spectacle et ma profonde émotion n’a pas été que formelle ou esthétique. Cette histoire d’une vie que toutes nos normes auraient pu faire considérer comme n’ayant aucune raison d’être, cette souffrance sauvée par l’amour de son frère, de sa sœur ; cette magnificence d’âme dont il témoigne jusqu’à sa mort à travers son œuvre hors-les-normes… Quel message pour nous tous ! Quel rappel de la véritable, de l’impérieuse nécessité de l’homme qui est dans « l’être » et non dans « le paraître », dans l’être et non dans la gloire ! Rabâchage ? Peut-être ! Mais foi dans les plus méprisés des matériaux comme dans les plus rejetées des images !
Du travail d’architecte à l’amour débordant, turbulent, de la vie, notre exposition s’est attachée à cet homme-là, Alain Bourbonnais, à ce message-là : « la dérision fait réfléchir les hommes sur le monde qu’ils ont construit. Je la vis comme une sublimation, et un exorcisme. » Qu’il en soit ainsi de ce qu’aujourd’hui nous inaugurons. De ce qu’aujourd’hui le musée avec peut-être ce qu’il a de normatif dans la tête de beaucoup de gens, accueille, reprend à son compte, humblement, pour aider à le transmettre. Et je conclurai avec Michel Leiris, que « le rêve est l’unique, --ou en tout cas l’essentielle--, l’unique balise du néant. »
L’attaché culturel prit ensuite la parole : « Mesdames et Messieurs, puisqu’il faut louer les grands hommes, juste deux mots. Je me souviens parfaitement bien de ma première visite à Auxerre dans les années 70. J’avais suivi l’itinéraire habituel : la cathédrale, l’abbaye Saint-Germain qui était encore un hôpital, et dans un triste état ; puis la vieille route de Paris à Lyon, et je me suis retrouvé dans le quartier qu’avait construit Alain Bourbonnais. Cela a été pour moi une surprise et un éblouissement : de quartiers tristes et vieillots, tassés sur eux-mêmes, je me retrouvais dans un décor de théâtre admirable. Admirable, parce depuis les années 70, c’est un cachet qui a su rester dans la ville, et en faire un lieu vivant et beau. Quelles que soient les divergences d’opinions qui peuvent nous opposer les uns aux autres, il faut rendre hommage à quiconque a su construire une ville.
Il y a eu une deuxième grande surprise, c’est quand je suis allé à la Fabuloserie et que j’ai plongé dans cet univers extraordinaire. J’avais pensé que « Fabuloserie » impliquait un monde pour les enfants, et je me suis aperçu qu’il était plutôt pour les adultes, et qu’il y avait la façon dont les artistes avaient construit les choses, mais aussi importante était la façon dont on les mettait en scène, qu’ils soient reconnus ou complètement anonymes. Là encore, Alain Bourbonnais était un grand metteur en scène qui a apporté à ce département quelque chose de nouveau, de rafraîchissant, de surprenant, qu’on retrouve dans ce musée où ses œuvres viennent exploser contre les murs témoins des souvenirs des moines, du recueillement. Ce sont authentiquement des œuvres d’art, parce qu’elles ont pris toute leur place dans ce cadre ! Qu’il en soit, ainsi que vous, Caroline Bourbonnais, remercié ! »
Vint le tour de Jean-Pierre Soissons, Président du Conseil général.
« Quand nous avons lancé le programme du développement d’Auxerre, en 1971, nous avons fait appel aux plus grands noms de l’architecture pour nous donner des conseils et réaliser quelques œuvres qui puissent marquer le nouvel Auxerre.
Par des amis communs, artistes, intéressés par le clivage autour de Dubuffet, j’ai connu Alain Bourbonnais et le jury l’a retenu d’abord pour la réalisation du marché de l’Arquebuse. Il n’avait jamais réalisé de marché. De plus, il devait faire face à certaines suggestions d’un marché semi-enterré… il devait être à l’écoute des commerçants… il s’était installé à Ribière( ?) et des journées entières, il a vu et revu ce quartier pour bâtir ses plans.. ……. Ensuite, il y a eu la reconstruction de l’Ormeux. L’Ormeux a été conçu par Alain Bourbonnais, en tenant compte de l’aspect des maisons anciennes qui étaient hautes et serrées, avec un rythme que l’on avait nommé « le rythme d’Auxerre ». Alain Bourbonnais y avait en effet retrouvé le rythme du vieux Bruges et de son Béguinage. Il a fait un certain nombre de dessins, de maquettes, et conçu le plan de l’Orme de Joie de Saint-Pierre, comme un béguinage moderne autour de la bibliothèque qui est aussi une de ses œuvres marquantes et des plus éclatantes ; et sans doute l’un des plus beaux bâtiments modernes qui ait jamais été réalisé.
Alain Bourbonnais était aussi un être profondément angoissé. Les Turbulents portent la marque de cette angoisse qui était en lui. Il avait besoin, pour la surmonter, de la chaleur familiale, Caroline, les filles, les amis qui passaient chez lui des soirées divines. Il était extraordinaire en cela qu’il ne s’est jamais limité à un aspect de la vie : à la fois, il faisait les Turbulents, construisait une architecture très moderne, il peignait, dessinait – c’était un fabuleux dessinateur—il ne pouvait pas comprendre que la vie était limitée, et il lui fallait d’une certaine façon la faire exploser !
Et quand il est mort, il a explosé lui-même, il est parti dans les étoiles. »
Enfin, Le Maire d’Auxerre ouvrit cette exposition :
« Ce midi, je déjeunais avec un architecte de renom, avec qui nous avons quelques projets pour Auxerre. A l’issue du déjeuner, il m’a demandé quel quartier (hormis le quartier rénové et le quartier médiéval), il pourrait bien visiter ? J’ai répondu tout naturellement qu’il lui fallait descendre dans le quartier du pont. Nos amis viennent de souligner que ce quartier est l’un des éléments marquants du paysage urbain d’Auxerre. J’étais jeune à l’époque de la construction, mais j’ai connu l’ancien « quartier de joie », je me souviens que l’appel à voter pour ce projet avait suscité un certain nombre de critiques, parce qu’il supposait beaucoup d’audace dans notre ville un peu endormie : audace à la fois par les hauteurs, par les volumes, par le choix des couleurs. Aujourd’hui, tout le monde a bien l’impression que ce quartier du pont appartient à notre histoire. Sans aucun doute, c’est l’une des grandes réussites architecturale et urbaine des trente dernières années.
Alain Bourbonnais était un « touche à tout » et l’audace qui fut—et reste-- celle de la Fabuloserie—est la même que celle qui présida à la construction du quartier du Pont et le mot « confluence » utilisé tout à l’heure par le conservateur du Musée est bien celui qui convient. L’exposition que nous inaugurons aujourd’hui, en est l’illustration.
Chacun sait qu’un musée est fait pour « montrer » : On parle de vocation muséographique. Mais en même temps, je considère qu’un musée est, de plus en plus, fait pour être vivant. Il doit donc devenir un centre culturel polyvalent. Et que je le dise au moment où nous inaugurons cette exposition sur Alain Bourbonnais, je crois que c’est un bel hommage à l’esprit qui habitait votre mari, et qui vous habite encore, vous Catherine Bourbonnais, comme vous l’avez réaffirmé tout à l’heure… »
Bien que la plus concernée de tous, et qui aurait eu droit à de longues explications, Catherine Bourbonnais déclara :
« Je ne vais pas faire de discours, parce que je vais pleurer ! Mais tout ce qui a été dit fait de moi une femme heureuse. Merci, merci à vous tous.
Je voudrais juste ajouter une petite chose : Nous sommes aujourd’hui dans ce cellier. Pour nous, c’est un lieu mythique, parce qu’Alain et moi avions toujours voulu y réaliser quelque chose ! Non pas pour lui, mais pour les créateurs de la Fabuloserie. Et voilà que maintenant, c’est fait, c’est pour lui, et c’est magique !
Ce qui est encore plus magique, et le hasard est là, il existe, il travaille autant que nous, c’est qu’aujourd’hui, nous sommes le 2-02-2002. Deux fois 22. Alain est né un 22 juin. Ce nombre a été pour lui le nombre mascotte de toute sa vie. Celui qui lui a toujours réussi. Ajoutons qu’il fait beau, une vraie journée printanière en harmonie avec cette date magique !
Une dernière chose. Notre fille, Agnès Bourbonnais veut rendre un hommage à son père. Je crois que nous allons tous pleurer ! Merci encore ! »
Grand moment d’émotion, en effet, où bien des yeux se sont mouillés, dans l’assistance devenue tout à coup silencieuse, lorsque l’une des filles de ce couple mythique trop tôt séparé, Agnès Bourbonnais, a rendu hommage à son père :
« A toi…
A toi qui n’es pas là, mais qui cependant es tout près de nous, je dirai même qui es en nous, qui nous as donné ta force, ta truculence, ton énergie…
Peintre, dessinateur, graveur, sculpteur, écrivain, architecte, collectionneur, que n’as-tu donc fait ? Chaque jour, nous découvrons ton ampleur, chaque jour nous vivons ton absence ; absence remplie par ta présence qui nous porte, nous transporte et nous guide.
Tu n’es pas là, et pourtant tu as fait de nous ce que nous sommes. Tu n’es pas là, mais tu as fait de nous ce que tu voulais que nous soyons.
Merci, merci à ce jour qui nous rapproche de toi. Merci à ce jour où ta présence est plus forte que ton absence. »
Est-il besoin de dire que tout le monde avait besoin de retrouver sa sérénité. C’est peut-être ce qu’avait prévu une amie de très longue date des Bourbonnais, qui avait été professeur de français d’Agnès, et qui avait vu un jour les Turbulents. Ils avaient été pour elle une telle révélation, qu’elle a créé à partir d’eux, des textes érotiques. Présentant cette dame, Caroline Bourbonnais conclut : « Nous allons l’écouter. Ensuite, nous nous calmerons, et regarderons tranquillement l’exposition. »
Et ce fut un grand moment d’amusement, à la lecture de quatre de ces textes, avant de replonger vers les œuvres :
Mademoiselle Rose.
…Oh ! J’ai des seins j’ai des mains
j’ai des seins je suis rose rose
je suis rose comme le ciel à l’aurore
je suis rose le matin
je suis rose sale rose rose fané
rose sang je suis rose
je te touche tu me touches touches touches
touche-moi j’ai du poil j’ai du poil
j’ai des seins je suis rose touche
je danse je danse je bouge je danse
je tremble pâlotte je tremble balotte
balotte je bouge je suis vivante
tu es moche tu es moche tu es moche
tu es un joujou oui je suis un joujou
oui je suis un joujou joue avec moi
joue partout partout je suis rose j’ai
des seins j’ai des mains je suis rose joue
j’ai des jambes de dame des chaussures de dame
des talons de dame des chaussures
trop grandes à mes pieds j’ai des bas
j’ai des bas des beaux bas noirs sur moi
qui suis rose tout noir touche-moi
touche-moi je suis noire je suis rose
j’ai des bas longs des bas longs des bas
longs des bas longs des bas longs
sur toi des bas longs pour toi des bas
longs des jambes des genoux basculés
à l’envers j’ai des talons basculés
basculés à l’envers je te veux je te veux
joue je suis ton joujou je suis ton
carnaval je suis ton carnaval je suis
ton carnaval suis-moi danse avec moi
touche-moi je suis un énorme cochon
une truie un animal qui vient de se salir
par terre je te veux je te veux viens
donc jouer je suis ton joujou je suis
ta bête ta bête ta bête tes seins
tes mains tes cheveux j’ai du poil
j’ai du poil j’ai du poil partout même
là où tu ne le sais pas…
Alice Mendelson
A l’Atelier Jacob le 8 mai 1974.
LA PARADE A TRICICLO.
Toutes fentes offertes, approcher, approchez :
C’est la fête à minette le flon-flon des garçons à tâtons,
L’échappée dérobée
L’avancée reculée,
L’approchant te fuyant,
L’entr’ouvert des femelles qui tanguent, à portée,
A côté de la touche.
Innocent TRICICLO, TRIple-mâle en puissance,
En réserve d’enfance, en folie de branlance,
Tu vas en tâter, t’y frotter t’en soûler
Gare à toi TRICICLO ! Faites vos jeux les badauds !
A sortir tous ces chats de sa tête, les souris vont danser,
De son propre manège le faire valser,
L’emmiche brouiller.
Fais ton jeu, tu verras des mariées en chaleur,
Un curé déglacé,
Un barbier de femmes à poil qui ne sait ce qu’il couvre,
T’en viendras, avec ta maison, tes fonctions,
Tes lampions d’homme fait que l’on fête,
A te voir enfin GRAND, bandable et rasable à merci.
Gare à toi, gentil gars,
Présomptueux petit roi je ne sais d’quoi
Fais ton jeu
ET MONTE QUI PEUT !
Alice Mendelson
Juillet 1976.
LA BALANCOIRE A TRICICLO.
Balancez vos dessus
Vos dessous.
Balancez vos dessous les femelles rêvées.
Le ballant de mes bouts a beau jeu de vous voir.
Balancez vos jumelles, vos porte-bijoux.
Plus tu t’lances
Plus j’en vois
Plus ça tourne
Plus j’y crois.
Balancez vos dessous au-dessus de ma tête.
Il me pousse des yeux à pousser vos bougettes.
Fin prêt à piéger au clair de la lune je n’ai nulle clé ;
Comment, avec vous, turbuler ?
Marinette, Rivonne, Ripierre,
Comment s’les marier ?
Flottez à la brune alentour de mon feu,
Chacune ses pleins, chacune ses creux,
Chacune je veux un p’tit peu et ne peux.
Si j’en coince quelqu’une, elle aurait…
Elle aurait, elle aurait…
Plus tu t’lances
Plus j’en vois
Plus ça tourne
Plus j’y crois
Si j’pouvais, j’lui mettrais, j’leur mettrais,
Lui mettrais… Maman, au secours !
CELESTINE aide-moi, aide-moi, aide-moi
A TRIpler
A leur mettre –mais où ?- Mais comment ?
Balancez vos dessous, vos dedans,
Approchez sans y croire,
A la grâce du jeu, ça viendra, on aura,
Pas encore, ou plus tard,
TRIple nœud,
TRIple part.
Alice Mendelson
Juillet 1976.
LA CELESTINE.
Et reculez, approchez, reculez, approchez, reculez bonnes gens.
Et reculez, approchez, reculez, approchez, reculez bonnes gens, les rampants, les manquants, les plaignants, en avant, ventre à terre, la montagne de chair…
C’est ta femme, c’est ta mère, c’est ta sœur, c’est la Madone. A genoux, à plat ventre, rampez, c’est ma femme, c’est ma mère, ma montagne de chair, approche vers moi. J’en ai trop, j’en ai trop, j’en ai trop, c’est c’qu’il me faut, j’en ai peur, c’est c’qu’il me faut. Y en a trop…
Serrons-nous, gens de la ville, gens des campagnes serrons-nous, c’est la mère des mères, c’est l’océan des mères… C’est une chaîne de mères à elle toute seule… une montagne rose enivrante et je pourrai et tu pourras, nous pourrons tous rentrer dedans.
Les retrouvailles, le grand abri pour nous tous, tournons autour, rentrons dedans, tournons autour, rentrons dedans, rentrons dedans, serrons-nous bien, y en a trop… J’ai peur… Je suis bien.
Tu es la plus immense, la terre, ma mère, ma montagne de chair qui vogue autour de ma mémoire, autour de mon village, autour de ma cité, une montagne de tendresse, une montagne engloutissante, protège.
Avec une seule de tes mamelles maman, ma femme, ma nourrice, ma gardienne, ma maison, ma demeure, mon moment éternel, ma chaleur qui ne veut pas s’éteindre. Avec un seul de tes seins, j’aurai de quoi me nourrir jusqu’à la fin des temps.
Je te vois et je sais que je n’aurai plus jamais froid, je te vois et je sais que je n’aurai plus jamais faim, je ne serai jamais dehors, tu remplis le monde entier et partout pour moi, c’est mon dedans.
En chantant : Et pourtant je peux être tout petit, et pourtant je peux être tout gentil. Autour de toi je baisse, autour de toi je baisse, tu es plus grande que moi, tu seras toujours là.
Au pied de toi ma mère, au pied de toi ma mère, tu es aussi forte que tous les autres monstres, plus énorme que l’ogre énorme, plus forte qu’un raz-de-marée, plus immense que l’orage au fond du ciel, réchauffante et terrible, terrifiante et calmante, tu fais le contre-poids à tous mes démons.
Alice Mendelson.
A Dicy.
Que pourrait-on bien ajouter à tout ce qui a déjà été dit, à travers le monde, sur l’œuvre des Bourbonnais et leur musée ?
Est-il besoin d’expliquer ces œuvres qui parlent si bien d’elles-mêmes, sauf pour redire que ce fut une TRES belle exposition ! Un grand moment d’histoire singulière et de peinture de tous les temps, sous les voûtes séculaires de l’Abbaye-Musée Saint-Germain, à Auxerre !
Ne vaut-il pas mieux terminer sur une note de tendresse, avec le Manège du Petit Pierre ?
La Fabuloserie : 89120 DICY. Tel : 03.86.63.64.21.
Musée Saint-Germain : 2 bis, Place Saint-Germain. 89000 AUXERRE.
Lire dans le "Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda" N° 55 (P. 204) de juillet 1995, le compte-rendu de la pièce Le Manège du P’tit Pierre
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2002 APRES L'EXPOSITION AU MUSEE SAINT-GERMAIN.ET PUBLIE DANS LE N° 73 TOME 1 DE MARS 2003 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.