L'INEXORABLE DELIQUESCENCE DES CRÉATURES
DE JEAN PIERRE BOURGEOIS-POTAGE
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"Là haut, étendu sur un sofa, (il) sentait la terreur, le glacer jusqu'en ses dernières fibres ... Quelle était cette odieuse rosée rouge dont l'éclat humide scintillait sur l'une des mains comme une sueur de sang sortie de la toile "… sur le bras du fauteuil, seule constante sur la toile ?"
N'était que l'oeuvre de Bourgeois Potage se situe dans la modernité, cette citation d'Oscar Wilde décrirait parfaitement le personnage qu'il affirme sans relâche. Comment en est-il arrivé là, lui qui a sagement débuté comme professeur de dessin puis fait des recherches sur les ultraviolets, sondant scientifiquement les limites de l'audible et du visible ? C'est que son travail de stéréoscopie l'a conduit à des dessins d'un hyperréalisme si excessif qu'il a bientôt distillé chez lui un mortel ennui. L'artiste a donc abordé l'aquarelle dans le but de "liquéfier la matière", posant ainsi les premières bases de sa création désagrégeante.
Mais il fallait que ces investigations disparates deviennent un tout, qu'explose une sorte de violence latente qui engloberait tous ces possibles. C'est fait : l'infinie précision se retrouve désormais dans le drapé d'une manche, la saillie d'un genou, les plis du visage, l'attitude déjetée du personnage unique toujours vu en contre-plongée. Son visage est réduit à l'état de squelette sur lequel serait tendue une peau mal tannée, vieille, sans attrait. Le nez n'est qu'un trou, les yeux globuleux ! Paradoxalement, sous le vêtement, le corps se devine "normal" ; alors qu'à l'extrémité des manches surgissent des squelettes de mains crispées sur le bras du fauteuil, seule constante, sur lequel est effondré le personnage. Parfois vide, il suggère l'imminence de l'instant où l'homme va s'y affaler ; exhaler sa terreur abjecte ; "toiser", drapé dans sa dignité, un invisible vis-à-vis ; essayer désespérément d'affirmer son humanité déliquescente ; "attendre" dans un profond ennui quelque improbable Godot.
Car les référents de Bourgeois-Potage se trouvent dans la littérature, ou plutôt dans une désespérance, un mal de vivre théâtral, évoluant du "Huis clos" de Sartre à "Fin de partie" de Beckett, via Kafka etc. Même les coulures semblables à celles d'une bougie qui aurait longuement fondu, les décompositions violemment colorées, les projections testées naguère sur les aquarelles répondent à une motivation étrangère à l'effet pictural au-delà d'une technique, elles dégoulinent pour remémorer au spectateur la délitescence de l'esprit au fil des Illusions perdues, la dérive vers la mort de l'individu, l'impossibilité pour lui de retenir, même un instant, le passage du temps !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 40 DE DECEMBRE 94/JANVIER 95 DE LA REVUE "IDEART".