"Autodidacte, spontané, brut, carré, rond, décrépit, etc. Les dictateurs sont des autodidactes, pas les artistes. Je pense simplement qu'on peut peindre en apprenant à observer, en regardant avec ses yeux et ses oreilles.
Tout peut être dessiné, coloré, sculpté, traduit et interprété par des mots, des gestes naturels qui viennent du cœur". Louis Bouscaillou
Jeanine Rivais : Louis Bouscaillou, quand et comment avez-vous commencé à peindre et à sculpter ? Qui êtes-vous ?
Pourquoi pensez-vous avoir spontanément, peint plutôt que sculpté ?
Louis Bouscaillou : Je n'en sais rien. J'ai commencé par la peinture. Et puis, un jour, j'ai vu un tailleur de pierre à l'ouvrage. De le voir polir son matériau m'a donné envie d'essayer. C'était parti. J'ai commencé à passer de l'un à l'autre.
J.R. : N'est-ce pas gênant pour un créateur autodidacte ? Les artistes habitués à un travail "à plat" ont souvent du mal à passer tout en restant créatifs; dans la troisième dimension. Vous qui avez créé intuitivement, n'avez-vous rencontré aucun problème ?
L.B. : Non, au contraire. La sculpture m'a fait du bien, parce que je peux "passer par derrière" !
J.R. : Vous voulez dire travailler en ronde-bosse ?
Qu'est-ce qui, depuis toujours, détermine le choix de vos thèmes ?
L.B. : Je n'ai pas de choix. Vous avez pu voir que je peins surtout des portraits imaginaires, même s'ils sont en rapport avec quelqu'un que je connais. Mais je les reproduis "à ma façon".
J.R. : On pourrait donc penser que vous réalisez des pseudo-portraits d'origine fantasmatiques, non réalistes ?
L.B. : Pas tout à fait. Je dois quand même, inconsciemment, garder de mes "modèles", des traits essentiels ; puisqu'il arrive que, des années après, des gens se reconnaissent sur le tableau !
J.R. : Il faut que nous en venions à une expression qui m'a beaucoup frappée : Vous vous dites autodidacte. Vous affirmez même avoir débuté votre œuvre de manière très instinctive, donc sans culture picturale. Tout de même, vous deviez bien avoir quelques bases culturelles puisque je vois sur vos murs, ici un Modigliani, là une danse de Matisse… Ailleurs, les Impressionnistes me semble tout proches. Que répondez-vous ?
L.B. : Je n'ai jamais beaucoup lu, ni vu d'autres artistes. Il aurait fallu, à l'époque de mes débuts, aller au musée à Paris. Or, je n'y suis "monté" qu'en 1960.
J.R. : Faudrait-il alors parler de culture intuitive, parce qu'en plus, on peut deviner une évolution dans ces parallèles. Ainsi, comme ceux de Picasso, certains de vos personnages sont-ils de facture cubiste, et ont-ils même parfois, trois yeux…
Il me semble retrouver dans votre itinéraire l'histoire de la peinture : y côtoyer, en somme, ma propre culture picturale !
L.B. : Vos "trois yeux" sont en fait des motifs décoratifs ! Quant à de possibles influences, je n'en sais vraiment rien ! J'ai peint par accident, j'ai continué par plaisir, je ne peux rien répondre d'autre !
Bien sûr, je vais maintenant dans les musées, mais il ne me viendrait pas à l'idée de "copier" des œuvres que j'y vois ! D'ailleurs, je les oublie dès que je sors. En outre, je pourrais presque dire que je ne "regarde" pas un tableau : je considère l'ensemble, ce qu'il exprime, s'il éclate ou non, s'il accroche ou non, s'il dégage ou non de la poésie, de l'énergie… Dans le cas contraire, il ne m'intéresse pas ! Et j'ai la même relation avec toutes les formes d'arts.
J.R. : Je n'ai pas imaginé que vous pouvez, consciemment, "copier" les référents que j'ai évoqués ! Simplement, j'ai essayé d'analyser cette curieuse synthèse d'œuvres "connues" qui jalonnent votre travail ; de voir comment vous les avez "découvertes", puisque votre œuvre sait, par ailleurs, être très personnelle ; sobre, équilibrée et harmonieuse, avec un sens aigu de la couleur.
Ma surprise est d'autant plus grande que ce genre de parallélisme n'existe pas chez les autres artistes autodidactes ! Je vous rappelle même l'indépendance et la richesse des œuvres de tous les créateurs de l'Art brut… et la recherche de Dubuffet, souhaitant pour sa collection, des travaux de gens "idéalement acculturés".
L.B. : J'ignore comment et même s'il y a de possibles relations entre mon travail et ces grands maîtres dont vous parlez : Si j'ai peint un "Déjeuner sur l'herbe", e=il avait lieu dans une grotte parce que nous sommes dans une région où elles abondent !...
Je ne sais pas non plus ce que pensait Dubuffet ! A mon avis, tous les artistes authentiques "font" de l'Art brut. Je me demande ce qu'il pourrait être d'autre ?
J.R. : Singulier, assurément, spontané…
Revenons à votre œuvre ! Si je considère la corrélation entre peinture et sculpture, il semble que la première "prépare" la seconde, surtout dans vos petits personnages découpés de façon très géométrique, très stylisée.
L.B. : Il ne s'agit pas de préparation : je commence toujours par la peinture. Et, en cours de route, je l'accompagne avec la sculpture. Je crois que les deux se complètent.
J.R. : Le visiteur se trouve, à un moment de votre évolution, face à une création géométrique, très dépouillée, dans des tons de bleus marins et de bruns éclatants.
Comment êtes-vous passé de femmes pulpeuses, très galbées, à des personnages réduits à la ligne ?
L.B. : C'est un besoin pour moi, d'aller de l'un à l'autre. Mais ces personnages stylisés me donnent beaucoup plus de travail que les premiers !
En fait, au bous de cent-cinquante ou deux cents tableaux de la même veine, peindre commence à me taper sur les nerfs ! J'aborde alors autre chose… Cela se passe spontanément, parce qu'à un moment je sais ne plus rien avoir à exprimer dans la manière précédente.
Pour moi, savoir s'arrêter est essentiel, parce que j'ai tout à fait conscience que la technique acquise au bout d'un certain nombre de toiles, n'a jamais, à elle seule, engendré de chefs-d'œuvre !
Je reprends l'une de vos expressions : "peindre avec son cœur"… Ma tête n'est là que pour me dire quand je dois m'arrêter. Au début, je n'avais pas encore bien compris ce principe ; mais peu à peu je me suis aperçu que si j'insistais sur une toile, il n'y avait rien à faire, elle ne me plaisait pas ! En fait, j'avais alors dépassé l'essentiel ! Maintenant, je "sais" quand j'ai mis sur le tableau ce que je "veux" y mettre ! Et tant pis si les autres ne le voient pas !
J.R. : Comment, alors, définissez-vous votre œuvre ?
Diriez-vous, vu l'abondance de votre création, que vous êtes un professionnel ou un amateur ?
L.B. : Je ne me définis pas. Et je ne définis pas mon œuvre. Je crée, c'est tout. Peut-être dirais-je plutôt que je suis un artisan, un manuel ?
Mais ces nuances sont peu importantes. Etre simplement Bouscaillou, cela me va très bien !
CET ENTRETIEN A ETE REALISE EN 1997 AL'ATELIER-MUSEE DE LOUIS BOUSCAILLOU.