JEAN-MICHEL DOIX, POTIER OU SCULPTEUR ?
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" Pour toute la beauté, jamais je ne me perdrai ; sauf pour un je ne sais quoi qui s’obtient d’aventure "
Saint-Jean de la Croix.
C’est ce "je ne sais quoi" que cherche depuis plusieurs décennies Jean-Michel Doix. Sans préoccupation de savoir s’il est "seulement" potier (et ce mot restrictif ne saurait, le concernant, être péjoratif) ; ou s’il est "également" artiste ? Avec cette certitude que, dans l’une et l’autre éventualités, ses créations se réfèrent à l’art populaire ; qui plus est, à l’art populaire poyaudin(¹).
Ainsi, Jean-Michel Doix a-t-il recherché des formes ancestrales pour réaliser à son tour, des pichets, bien sûr, mais surtout des formes plus originales, comme des gourdes, des bouteilles-couronnes, etc. Et, fort de cette caution esthétique et usuelle, lui qui a le souci primordial de la perfection, qui s’astreint à une rigueur technique ne laissant rien au hasard, qui ne tolère aucune fantaisie par rapport à la tradition, s’autorise à plaquer sur ces référents, son délire ornemental : ce sont alors torsades et croisillons pour en accroître l’élégance ; gouttes ou plages d’émaux, coulées de cendres, salages, glaçures du "laitier"(²)… pour en multiplier les couleurs, générer des nuances et des accidents en jouant des mats les plus ternes, ou au contraire des brillants les plus éclatants, des bruns les plus glauques au fond desquels se perd le regard du spectateur… le tout, glaise et matériaux, livré à des feux de bois qui y ajouteront leurs brûlures et leurs irisations.
Autre création originale rattachée à de lointaines coutumes moyenâgeuses, les épis de faîtage, si ingrats à réaliser que seuls de rares potiers s’y attaquent. Ceux de Jean-Michel Doix ornent depuis plus de trente ans les toitures de la Puisaye, ajoutant au-dessus des vieilles tuiles, outre leur rôle de protecteurs du "poinçon"(³) contre les intempéries, l’élégance de leurs silhouettes qui se découpent sur le ciel et ressemblent à ces pierres levées supposées naguère servir de relais entre les forces cosmiques et celles de la terre. Sur ces épis, le créateur laisse vagabonder son imagination, enchaîne les anses rubanées, peint à l’infini des végétaux, ajoute une sensation d’envol par le truchement de cette marque récurrente dans son œuvre : un oiseau aux ailes éployées.
Enfin, et là se pose concernant Jean-Michel Doix, l’éternelle question de la limite entre artisanat (mais il se défend d’être "artisan" et se déclare résolument "potier"), artisanat d’art, et art tout simplement (mais la modestie, la crainte de quitter la sécurité de la technique pour aller vers la folie, et une sorte de pudeur peut-être à manifester une émotion lui interdisent de se prétendre artiste !) : A quel moment a-t-il pourtant quitté les sentiers confortables de la création référentielle, pour celle, plus libre, à connotation sacrée et mystique, des reliquaires ? Certes, aucun élément de leur décoration n’implique une telle relation, mais la forme de ces œuvres et la culture intuitive du visiteur l’y rattachent incontestablement. Il s’agit là, en tout cas, de créations résolument baroques, dissimulant leur architecture stricte sous des entrelacs de courbes et de contre-courbes, de pans brisés par des pilastres et des étagements en encorbellements, de voûtes ovées, de coupoles exhaussées de bouquets végétaux… Le tout émaillé d’une profusion de lianes, feuillages, formes incertaines se chevauchant, ou au contraire très précis, côte à côte, en sages croisillons ; dans des ocres et des verts longuement patinés. Sans oublier l’éternel oiseau ; et, ce qui n’apparaît jamais dans ses autres oeuvres, la présence humaine, personnages entiers disposés aux quatre coins de l’œuvre, l’air d’en être les gardiens, ou simples visages ailés, comme sertis au milieu des feuilles. Et, sur l’une des faces, à la base de ces édifices impressionnants malgré leurs dimensions réduites, se trouve une vitre très sobre, à sommet arqué, derrière laquelle sont enchâssées des… "reliques".
Ainsi chemine Jean-Michel Doix, récusant toute démarche intellectuelle, toute théorie. Travaillant avec le plus grand sérieux bien calé dans les repères qu’il s’est créés. S’évadant par contre vers une fantaisie très personnelle, et même s’octroyant parfois, de petites incursions dans le monde de l’humour (par le truchement des citations qu’il grave dans la terre, comme "Tout ce qu’elle saisit lui demeure", "A Ferdinand, avec défense de rien toucher"…). Amoureux de la terre qu’il explore donc paradoxalement, entre austérité et délire… Angoissé et heureux : fondamentalement créateur, en somme !
Jeanine Rivais.
(¹) Poyaudin : de la Puisaye, région géographiquement située à l’ouest de la Bourgogne ; très riche en argiles de toutes couleurs. La majorité des terres utilisées par les potiers et les sculpteurs viennent de cette région, y compris les ocres, les bleus, etc.
(²) "le laitier" : "glaçure réalisée avec du déchet de fonderie provenant de la vitrification du fondant calcaire ajouté au minerai de fer local pour l’épurer durant la fusion initiale" (Marcel Poulet). Il se présente sous forme de blocs vitreux que broient les potiers. La poudre obtenue est saupoudrée sur les poteries crues ou celles-ci sont plongées dans un bain de poudre diluée, additionnée de bouse de vache ou de glaise pour assurer le liant de l’ensemble.
(³) "Le poinçon” : pièce de charpente joignant verticalement le milieu de "l’entrait" ou pièce horizontale sur laquelle sont fixés les "arbalétriers" ou pièces inclinées assemblées au sommet du poinçon et à l’extrémité de l’entrait.
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