Vingt-cinq ans ! C’est le temps depuis lequel une tradition séculaire s’est transformée en une forme d’Art national ; et un minuscule mouchoir de poche géographique est devenu un haut lieu d’une création picturale “naïve” infiniment vivante !
Depuis toujours, le peuple quicha perché dans ses montagnes cristallines dominées par des volcans, mène une vie agreste de gardeurs de moutons et de lamas, de cultivateurs dont les rythmes saisonniers sont coupés de fêtes influencées par les origines propres à leur civilisation, mais aussi par la marque des conquérants. Dans ces fêtes, entrent en jeu masques et tambours rituels, faits de peaux de moutons, sur lesquels sont peints des paysages, des scènes shamaniques, religieuses, paysannes, etc. Et le légendaire Julio Toaquiza Matrimonio indigena(1997) condor que, pour le désacraliser peut-être, le peuple a introduit dans son quotidien, ses légendes et ses contes: Ainsi, à l’instar de Nils Olgerson s’envolant, pour l’enfant européen, avec les oies sauvages, l’enfant équatorien désobéissant est-il sûr d’être emporté par le condor dont le vol majestueux emplit de respect le village...
L’histoire raconte qu’un jour, un paysan de Tigua, Julio Toaquiza, trouva sur “une surface plate”, des peintures comparables à celles qu’il exécutait jusqu’alors sur les parois des tambours. Nul ne sait qui était l’auteur de ce premier “tableau” équatorien ; mais son découvreur se mit à “raconter” sur des peaux de moutons tendues (d’où le format réduit de toutes les oeuvres) les mariages, la vie au village, l’adoration de ses dieux, etc. Il entraîna enfants et voisins dans une création devenue véritable “saga”. Une nouvelle esthétique picturale était née, rattachée à ses traditions et, par la vigueur, le fourmillement, le réalisme des personnages, d’un haut intérêt anthropologique. Une création traduisant de façon à la fois primitive et sophistiquée, les signes tangibles du vécu de ses “artistes” et de leurs valeurs culturelles immémoriales ; une création, enfin, totalement différente de celle du vaste monde. Des peintures très colorées, aux formes serties par un trait noir assez fin, toujours narratives d’une quotidienneté un peu autarcique; dans lesquelles, contrairement à la plupart des créations naïves, existe la perspective créée par l’omniprésence du volcan couvert de neige ; des témoignages, en somme, socio-mystico-humoristico- fantasmatiques !
L’UNESCO a proposé, en décembre 1997, à Paris, une large exposition des oeuvres de Julio Toaquiza et de ses émules, à la fois si jeunes, si typiques et si attachants dans leurs spécificités ! En ouverture du vernissage, une petite troupe proposait un conte rituel équatorien : "Il y a longtemps", psalmodiait le récitant, "nous vivions avec notre père le Soleil, notre frère le Volcan et notre mère la Terre. Nous travaillions la terre. Et la vie était calme...”. Et, sous les yeux du spectateur, le fouet espagnol rompt le charme ! Commence alors la lutte sourde entre la domination brutale de l’étranger et le peuple protégeant ses rites ancestraux, ses traditions vitales ! Tandis qu’au milieu des danses rythmées par les tambours peints, s’avance, immense, le Dieu des Quichas, portant un masque d’or, somptueusement vêtu, appuyé sur un bâton mitré ! A ses côtés, la Mort, ricanante ! Autour d’eux, se contorsionnent les danseurs, s’entassent les offrandes, s’affolent les tambours, s’élève la voix du conteur vantant la résistance de son peuple, en une surprenante liturgie vers laquelle se laisse, malgré la barrière linguistique, porter le spectateur occidental... Une belle soirée, très conviviale, un sommet dans les manifestations pluri-culturelles proposées par l’UNESCO ! Jeanine RIVAIS
“Les artistes de Tigua veulent représenter la vie indigène à travers l’Equateur. Notre façon de vivre, en communauté, assure notre unité, reflète notre histoire et garantit notre existence dans le futur”. “Les fêtes forment un thème commun, mélange d’éléments chrétiens et de traditions pré-hispaniques. Corpus Christi, le corps du Christ, un festival d’origine chrétienne médiévale et Noche Buena (veille de Noël) sont parmi les célébrations les plus populaires. La musique fait partie intégrante de ces festivités. Les rites shamaniques sont une partie importante de la culture quicha. En période de troubles ou de mauvaise santé, le shaman organise des cérémonies de guérison ou de purification nocturnes, utilisant des bougies, de la fumée, des plantes, ou des crânes comme récipient pour les esprits du mal.” (Extraits du catalogue de l’exposition).
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 62 D'AVRIL 1998 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.
Et PUBLIE DANS LE N° 57 DE LA REVUE IDEART EN 1998.
Et aussi : http://jeaninerivais.fr Rubrique RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S).