Impossible, pour Jean Evrard, d’imaginer sur un mur, un tableau fixé à jamais ; placé là pour “décorer” ou “témoigner”, même s’il est absolument représentatif de l’oeuvre d’un artiste ! D’ailleurs, l’expression “oeuvre d’art” n’appartient pas non plus à son vocabulaire, du moins parlant des siennes ! C’est pourquoi ses toiles - Mais, bien que plates, ce sont peut-être des sculptures ?- conçues sur des thèmes liés à des cycles de vie, à des résonances métaphysiques, spirituelles ou banalement quotidiennes, présentent dans l’espace d’étranges intrications, provoquent le visiteur non habitué à cette sorte de “jeu”, le surprennent même physiquement en se mettant à son passage, à virevolter, taper des “mains”...! En somme, du rôle traditionnel d’objets qui leur est généralement dévolu, elles deviennent membres à part entière de la maisonnée, nanties d’yeux pour appréhender le monde, de bouches pour “rire” à gorge déployée ou mordre à belles dents, participer du bonheur de vivre de “leur” entourage ! Etre, en somme, le Centre du Monde !
Parallèlement à cette volonté, peintures ou sculptures ne sont pas non plus les expressions “définitives” d’un moment précis de la vie d’un artiste ; mais des mises en scène temporaires et inachevées sur lesquelles l'“auteur” aime faire intervenir les autres. A cet effet, il leur ménage des “espaces”, de grands blancs sur lesquels ils sont invités à s’exprimer à leur gré, changer ce faisant l’esprit de l’oeuvre, du moins en modifier le rythme, lui donner une définition aléatoire puisque le peintre n’en a plus la “possession” unique, l’exclusivité créatrice, ni ne se donne la possibilité de la protéger : il éprouve simplement le désir d’en assumer les aléas et la pérennité évolutive !
Par ailleurs, elles sont pour le visiteur un véritable paradoxe puisqu’il a, en entrant, le sentiment de pénétrer dans une bande dessinée bavarde, où des personnages aux gros yeux, aux pieds énormes projetés dans l’espace, aux dents proéminentes... semblent prêts à lui conter une aventure ! Or, se mettant à scruter les oeuvres pour, justement, en percer l’“histoire”, il s’aperçoit qu’en fait, seul son propre imaginaire a vu - a créé - des lambeaux de vie là où l’artiste n’avait peint, découpé ou surligné que des formes abstraites ! Et qu’il entre dans le monde du silence !
Peut-être pas tout à fait du silence ; mais dans celui de l’incomplétude comme dans ces dessins de naguère ne présentant qu’un arbre, où il “fallait” “trouver la tête” ! Dans l’univers de Jean Evrard, chaque spectateur “doit” trouver son propre cheminement et lorsqu’il estime être parvenu au terme de son raisonnement, SON intime conviction est par voie de conséquence celle du créateur qui n’intervient jamais pour l’approuver ou le dissuader !
Il s’agit donc là d’une bien étrange démarche, où le sens des oeuvres existe dans la manière où fonctionne autrui ; où ce sens ne dure forcément qu’un moment, celui qu’il passe au milieu d’elles ! D’ailleurs Jean Evrard apprécie particulièrement cette idée d’éphémère dont il joue avec toutes les variantes possibles ! Si bien qu’à chacune de ses rares et très brèves expositions, le visiteur doit “vivre” vite et à haut risque psychologique, puisqu’il sera “forcément” mis à contribution ! Se pencher d’un balcon pour appréhender d’un seul regard des toiles immenses, posées à plat, voulues comme une oeuvre unique ; affronter le passage du temps en retrouvant fugitivement son visage, ou un pan de son visage dans des jeux de glaces devant lesquelles il ne s’attendait pas à passer ! Ou bien, sur une note différente parce qu’entièrement discursive, mais procédant du même état d’esprit, comme au printemps 98, au cours d’une sorte de happening champêtre, sillonner sous la pluie la prairie du couple Evrard travaillant cette fois de concert ; aller au fil des panneaux photographiques, des pots de fleurs où il devait “semer” ses pensées du moment, à la rencontre de banals buffets de cuisine émaillant l’herbe aux points de convergence des allées, portant sur leurs flancs peints en blanc des textes-poèmes de Marie-Thé Evrard, conçus comme des hommages ou des clins d’oeil à des gens rencontrés et aimés ; supputer qui ? et où ?, commenter triste ou gai... Avant de s’amuser de l’ultime paradoxe de cette création tellement intellectualisée, conçue sur un jeu de mot digne de l’Almanach Vermot : L’Art du buffet ! Salut admiratif à celui qui aimait tant “les gens du commun à l’ouvrage”, et serait certainement demeuré perplexe devant ce détournement provocateur de son nom !
Jeanine RIVAIS
Jeanine et Michel.
Sous les tonnelles de roses anciennes
Ils nous attendent
dans la fraîcheur de leur jardin
Des poteries gisent sous terre
Quel est leur secret ?
Elle les exhume pour les faire fleurir
Il regarde naître dans ses mains
des paroles de terre
des paroles sans voix
Bouches déchaînées
Plaisir de terre
Pourquoi taire ?
Les mots, même silencieux
animent toutes ces bouches
de torsades volubiles
et gravent sur les visages
des sourires de nouveau-né
Têtes de feuilles d’argile
ouvertes sur l’inconnu
L’ancien mineur de fond
invente un nouveau langage à ciel ouvert.
Jean EVRARD
Ce poème a été écrit après la visite de Jean Evrard chez Jeanine Rivais et Michel Smolec. Qu'il en soit remercié !
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998 ET PUBLIE DANS LE N° 59 DE LA REVUE IDEART.