Il y a quelque chose d'émouvant dans le côté obsessionnel présenté par l'œuvre de certains artistes. Non par manque d'imagination : C'est comme un rêve cent fois repris, dont l'effet rémanent se prolongerait à l'infini.
Tel est le cas du travail de Jeannine Gilles-Murique. Depuis des années, elle cherche, capte, perd et retrouve un homme jeune, à la tête relativement petite, taillée sur un cou énorme et sur de larges épaules couvertes d'un drapé.
D'emblée, il apparaît que l'une des influences majeures de Jeannine Gilles-Murique peintre, est la statuaire antique. Des cavaliers de Phidias ou de l'aurige de Delphes, le nez de sa créature a le fameux profil grec. Le drapé de son vêtement est celui de la toge patricienne. La chevelure peut devenir un casque coiffé en mitre, découpant dans une échancrure la conque de l'oreille ; être nattée ou porter le pschent, à l'instar de Pharaon ; être frisée ou rase comme celle d'un esclave égyptien…
Jamais de barbe, par contre : le visage est glabre, aux reliefs nets, aux creux ombrés.
Le cou énorme est gonflé, tout en tendons, s'élargissant encore à l'endroit où il s'unit à la poitrine, comme ceux des gisants d'un sarcophage étrusque.
Paradoxalement, cette œuvre n'a aucun caractère passéiste : la trame à grosse toile est résolument contemporaine, enduite de pâte blanche sur laquelle se détache le profil de l'homme installé comme s'il posait pour l'artiste ; de même que les couleurs, passées, repassées, burinées à larges aplats, reprises comme à petits coups de langue pour harmoniser les plis.
Et, dans la multiplicité de ce seul et multiple "modèle" présenté par Jeannine Gilles-Murique, la quintessence de ce personnage le montre tête tournée vers l'arrière, les yeux un peu vagues juste au-dessus de la ligne d'épaule. Son nez est volontaire, arrogant même. Sa bouche lippue est sensuelle, ses yeux d'un bleu intense. Le drapé est d'un rose purpurin, virant à des bleus violacés, surchargés de gris lumineux.
Pourtant, aucune complaisance, aucune complicité : à partir de ce "prototype", mille et une variantes sont tentées: parfois les yeux sont aquilins. Tel celui d'Horus, le nez perd sa belle raideur, les cheveux se lissent comme des plumes : notre homme se fait oiseau de proie, au regard difficile à soutenir. D'autres fois, l'artiste a le sentiment de peindre sa petite-fille de dix-huit ans : alors naît sur la toile un bel éphèbe étendu tel un personnage de Watteau !
Consciente de cette répétitivité, l'artiste s'oblige à créer un décor, mer, bois… à les mettre en scène. Malgré elle, ils se retrouvent au second plan, écrasés par la tranquille certitude du personnage. La toge devient robe, chemise ; la coiffe bonnet de meunier, casquette ; la tête se penche vers l'avant ; le corps s'arc-boute au-dessus d'un hypothétique support, s'agenouille sur le sol. Peine perdue ! En fait, le spectateur a le sentiment de visionner un dessin animé dont manqueraient quelques images : A celles qui apparaissent sur la toile, la tête ou l'épaule de l'homme ont changé de place, de position, mais le personnage est toujours le même, faisant du travail de Jeannine Gilles-Murique une œuvre signifiante, belle et attachante, reconnaissable de loin, au milieu de n'importe quel salon.
De plus, Jeannine Gilles-Murique est une fidèle. Elle expose chaque année ses "Variations" à la galerie Aka-Valmay à Paris. Après une très importante exposition au Jas de la Rimade, splendide galerie très vivante implantée au milieu des vignes varoises, elle expose comme elle le fait depuis trente ans à la galerie Simone Boudet à Toulouse.
Comme le Jas de la Rimade, cette galerie est devenue un haut lieu de la culture contemporaine : elle a obtenu le Prix annuel des Arts plastiques du Conseil Général.
JEANINE RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993. IL A ETE PUBLIE DANS LE N° 36 DE FEVRIER/MARS 1994 DE LA REVUE IDEART.