"FLEURS ET FRUITS", LES ENCRES DE MARIE-FRANCOISE GUILLON
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Périodiquement, Marie-Françoise Guillon "jette un coup d'œil" par sa fenêtre. Et ce regard génère d'étranges îlots citadins, enfilades de toits, balcons côte à côte… des trompe-l'œil conçus de telle sorte qu'ils prennent le relais des architectures avoisinantes, en prolongent les perspectives, ajoutent à la réalité immobilière les fantasmes de leur créatrice.
Mais, le plus souvent, celle-ci évolue dans un monde de fleurs et de fruits faits de découpages et collages ; ou peints avec des encres de couleurs. Cette création sur papier, dont le but est de devenir reps de canapé ou veloutine pour tentures et rideaux, est conditionnée par certaines exclusives qui y introduisent involontairement un peu d'humour : les couleurs en sont "forcément" douces, fondues, pas franchement vertes car chacun sait que "le vert porte malheur", toujours dépourvues de noir ! Jamais de motifs uvaux pour les sièges, car nul ne s'assied sur des raisins ! De même ne se couche-t-on pas dans des draps ornés de choux !...
Ainsi, Marie-Françoise Guillon s'est-elle créé un univers aux sonorités chantantes des lointains tropiques : "Kerandang… mangoustan… gnémon… carambole…" dont les connotations exotiques suggestives de parfums capiteux et de succulences inconnues, sont susceptibles de faire rêver ses commanditaires potentiels.
Peintures à l'eau et non pas aquarelles, les œuvres de l'artiste proposent de grandes fleurs aux larges pétales, des fruits charnus aux teintes mille fois retouchées, repassées, délavées puis séchées pour que les sous-couches donnent au travail final des transparences, des nuances précieuses, des souplesses de branches balancées par les alizés ; ou des opacités, des raideurs de végétaux écrasés par le grand soleil. Seul, le pinceau dirigé à longs traits pour souligner un bouton à peine éclos ; ou au contraire minutieusement pointillé pour rendre la finesse d'une inflorescence, est capable de suggérer la sensitivité du mimosa, le moelleux d'une pivoine de Chine, la magie du blanc recouvert de petites touches violines, si douces que le doigt a envie d'en caresser le velouté…
Abandonnant parfois ses pérégrinations lointaines, Marie-Françoise Guillon revient à la convivialité, l'intimité d'un coin de table orné d'un pichet débordant de roses ; par besoin peut-être de personnaliser un petit coin de vie avant que ne partent ses créations si originales… pour un voyage plus terre à terre cette fois, vers l'usine de textile dont les machines tisseront à l'aune chaque fleur, chaque fruit ; dans un flot et un chatoiement d'étoffes séduisants certes, mais où l'anonymat de la conceptrice n'en sera pas, pour elle, moins frustrant !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT DANS LES ANNEES 90.