BELLEVILLE, MENILMONTANT 

MON VILLAGE DE 1944 A NOS JOURS ou  HENRI GÉRARD, photographe.

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Jeux d'hiver à Paris // Place de la République
Jeux d'hiver à Paris // Place de la République

     “Safari-photos”, disent les dépliants publicitaires, pour inciter les chasseurs d’images à exprimer leur vocation. Et l’expression est juste, qui assimile le photographe à un chasseur : même infinie patience, même savoir-faire, même petit iota de chance sont nécessaires pour amener l’un et l’autre à cet ultime moment délicieux où ils appuient sur la gâchette ou le déclencheur !               Depuis un demi-siècle, Henri Gérard traque à travers le monde cet instant -répété cent-cinquante mille fois !- où se crée entre le décor et lui-même une telle sensation d’harmonie qu’il puisse provoquer le déclic ! Mais s’il est sensible aux paysages étrangers (USA, Israël...) ; s’il explore à pied les sentiers de France, il aime comme tout voyageur rentrer “chez lui” :   Chez lui, c’est Paris où, depuis 1944, il rend compte de nombre d’événements (démolition du Val d’Hiv, Première manifestation de l’abbé Pierre...) Et, avec la même symbolique qui lui fait techniquement rapprocher un plan lointain, son coeur resserre le champ de ses pérégrinations, le cantonne essentiellement dans son XXe arrondissement, à ses quartiers-villages, aux vicissitudes vécues par ses vieilles rues, aux scènes de la vie domestique, aux intimités surprises, aux peines et aux joies d’une femme âgée montant péniblement un escalier, aux escapades d’une bande de gamins découvrant une carcasse de moto... tout cela “pris” dans un savant contraste d’ombre et de lumière, à la fraction de seconde où l’enfant a oublié l’objectif et est revenu à son jeu ; où la vieille femme est concentrée sur sa peine ; bref, où la scène est toute spontanéité. Car, si des millions de gens peuvent photographier le Sacré-Coeur ou un bateleur sur le parvis de Beaubourg, seuls quelques privilégiés “savent” être à la fois voyeurs et complices, saisir grâce à leur talent, la quintessence de ces scènes. Henri Gérard est de ces privilégiés qui découvrent ici “une trogne”, là une main d’artisan crispée sur son outil, le regard lointain d’un passant, celui vif d’une midinette regagnant l’atelier... Mais il est surtout fasciné par “les Vieux”. Ainsi, a-t-il naguère pénétré dans des hospices, ces mouroirs où s’éteignaient des vieillards solitaires. Photographier ces mal-aimés, capter leur regard d’attente désespérée était sa façon de leur prodiguer un regard en retour, leur promettre qu’ils “survivraient”, que grâce à lui, ils ne seraient pas oubliés. 

          Subsiste alors la préoccupation de l’ambiance : Amoureux du beau, de l’insolite, du typique, Henri Gérard l’est avant tout de la lumière : il aime les éclairages hivernaux tamisés de brume ; les petites heures matinales où émergent lentement les branches noires d’un arbre, un pignon de maison, un pigeon à contre-jour picorant sur un toit ; le temps des couchers de soleil, lorsque ses derniers rayons rendent tangibles les gouttelettes du brouillard qui commence à tomber.     Ainsi, ayant appris à “regarder”, Henri Gérard s’est-il peu à peu intéressé aux paysages banals, aux scènes violentes ou naïves. Comme Jacques Prévert, il a créé avec les murs lépreux une sorte d’osmose. L’oeil collé à l’objectif, il s’est introduit dans son quartier, dont il est devenu la mémoire. Revendiquant le talent féminin de son épouse à créer des contacts, il a jalonné de témoignages un itinéraire patrimonial d’autant plus précieux que la plupart des lieux sont disparus ou sur le point de l’être : qui retrouverait sous les millions de roues écrasant le bitume du périphérique, la barrière de Pantin ou celle des Lilas? Qui reconnaîtrait les lieux de tournage du "Rififi chez les hommes" ou celui d’une embuscade perpétrée par des maquisards, sans des artistes comme Henri Gérard qui, des images plein la tête, sont encore capables après tant d’années, de porter un regard neuf, une écoute passionnelle, sur des points événementiels ou des petits moments de vie ?

Jeanine RIVAIS

    Entre autres distinctions, Henri Gérard  s’est en 1989, vu attribuer avec sa femme, la Médaille de la ville de Paris.       

 

Henri Guérard et son épouse en 1996 // Démolition rue Vilin, un jour d'orage
Henri Guérard et son épouse en 1996 // Démolition rue Vilin, un jour d'orage

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996.

 

Ce texte a été publie dans le N° 48 DE JUIN 1996 DE LA REVUE IDEART.

Et aussi : : http://jeaninerivais.fr Rubrique RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S).