"Sculptures peintes" ou "peintures en relief", les sécantures ** de Danielle Le Bricquir sont de singuliers objets de bois recouverts de tissus, cartons, pâtes... destinés à créer des épaisseurs variées. Ces sortes de totems sont érigés et maintenus verticaux grâce à des pieds sécants intégrés au sujet, qui permettraient donc à l'artiste de "continuer" indéfiniment chaque oeuvre !
D'une enfance passée près des calvaires, Danielle Le Bricquir a gardé, profondément ancré en elle, la culture populaire bretonne. Cette hérédité est évidente dans toute son oeuvre. Le point de départ en est souvent une légende celte (L'Ankou, L'Arbre d'Avallon) ; parfois un souvenir de sa petite enfance (La dernière pomme, Retour de Fest Noz, Transbigoudènes...). Rien de mièvre, néanmoins, car l'artiste ne se contente pas de ces références locales : Transcendée, l'anecdote disparaît au bénéfice d'une oeuvre à l'échelle mondiale : ses oiseaux monstrueux pourraient figurer à la proue d'un drakkar viking ; ses "totems" qu'elle nomme "Tupilaks" être érigés à l'entrée d'un village africain ou asiatique...
Les deux faces de ses sécantures sont radicalement opposées : l'une porteuse de rouges flamboyants, de jaunes et d'ocres chaleureux ; l'autre de gris, de verts glauques... Le chaud et le froid ; le jour et la nuit ; l'amour et la haine ; la sérénité et les rages, les angoisses d'une artiste capable des pires excès. Chaque sujet est longuement travaillé, la démarche riche en contrastes : Glacis / passages ternes ; griffures brutales / fines dentelures ; épaisses couches de pâtes / nervures du bois apparentes ; aplats parfaitement lisses / boursouflures et gondolements mats...
Un jour, le ton a changé. Est apparue une volonté de retourner à ses sources les plus profondes. Délaissant momentanément ses sécantures, Danielle Le Bricquir a conçu une série de personnages ballottés, tiraillés par des cordes (réelles) qui les fixaient aux quatre côtés du cadre. Les couleurs chaleureuses avaient fait place à des gris emblématiques de ces petites créatures littéralement écartelées.
Et puis, retour à des couleurs vives : l'artiste s'était enfoncée dans la forêt de Brocéliande pour y rencontrer les fées, enchanteurs et autres princes charmants. Et retrouver la vivacité poétique, l'acuité picturale, la tendresse à fleur de toile, ou l'infinie tristesse liée à ses rencontres avec la Mort...
Sous une forme ou l'autre, qui d'ailleurs sont complémentaires, il s'agit donc bien là, d'une oeuvre où le mal de vivre de l'artiste affleure à chaque regard : personnages à quatre yeux ; femmes à plusieurs seins ; fille "traversant" la mère ; bête émergeant du sexe de la femme ; femme piétinant l'homme... et la mort... Encore... Beaucoup de démons à conjurer, en somme.
Une oeuvre de nécessité, profondément attachante parce que tellement humaine ; un moyen pour la créatrice de trouver autour de chaque personnage un sentiment de paix et d'harmonie ; et, par le truchement de cette sorte de double qui, chaque fois porte sur ses faibles épaules, toute la misère du monde, le plaisir pur de "rentrer chez soi" !
Jeanine RIVAIS
VOIR AUSSI TEXTES DE JEANINE RIVAIS : "CONTES ET LEGENDES DE DANIELLE LE BRICQUIR" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 52 DE JUIN 1994
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Pour le plus grand plaisir de ses admirateurs, Danielle Le Bricquir a commencé voici quelques mois, une série de facétieux petits jouets qui, après avoir fait la nique aux visiteurs sur les étagères de l’Oeil-de-Boeuf (¹) portent de par les musées du monde des nouvelles de leur créatrice.
Conçus par elle de pied en cap, découpés à la scie, limés, collés, rivés... à la sueur de son front, ces jouets ont, sous la peinture, l’aspect mal poli de ceux qu’apportait autrefois le Père Noël ou que créaient sur fond de guerre à la campagne, l’oncle ou le grand-père bricoleurs. Et, des jouets de la savane africaine ou du bidonville brésilien, ils ont le côté "récup" du camion rudimentaire bricolé avec des morceaux de bois disparates ou de la chèvre avançant grâce à des roulements à bille dénichés Dieu sait où ! Et puis, elle n’a pas oublié le petit bâton pour les guider ou la ficelle pour les tirer ! Tous ces menus détails qui font des jouets d'"ailleurs" des objets ethnologiques soigneusement gardés dans des musées, donnent à ceux de Danielle Le Bricquir leur authenticité surannée, montrent combien, une fois encore, elle a replongé vers son enfance, ses racines, et retrouvé la magie des poésies rencontrées dans ses voyages. Cette nouvelle création véhicule sur des roulettes pas forcément très rondes, toute la spontanéité qui caractérise l’artiste, impose comme des œuvres d’art ces petits objets jubilatoires ; et par sa sincérité, noue d’une simple caresse une boule de nostalgie dans la gorge d'un public féminin qui, pour jouer, a dû apprendre à coudre ses poupées, et masculin qui a creusé ses premiers "sillons" avec un bœuf en bois traversé de cornes en fil de fer ! Un microcosme d’amour, d’humour où les cavaliers affolés lèvent les bras parce que le cheval court trop vite, le diable jaillit de sa boîte dès qu’on soulève le couvercle, les vacances de "36" commencent sur un tandem à six places, etc. dans un grand flamboiement de rouges, de jaunes et bleus chaleureux, de collages, reliefs, griffures ou ciselures, bref du vrai Danielle Le Bricquir de la meilleure veine !
Dans le monde terne de cette fin de siècle, ne peut-on s’étonner que de simple jouets soient porteurs de tant de poésie ? s’étonner même qu’une artiste ait envie d’en créer ? Certes non, en ce qui concerne Danielle Le Bricquir car sa petite communauté ludique est étrangère à toute mièvrerie : Sur l’étagère, l’Ankou ne brandit-elle pas sa faux en direction des inconscients qui pédalent à qui mieux mieux, une gentille femelle ne traîne-t-elle pas un grand méchant loup à la langue bien rouge qui porte dans son ventre leur progéniture ? ou des enfants déjà dévorés ? etc.
Ces jouets sont donc bien peu anodins, aussi duels finalement, que les peintures et sculptures ; porteurs des mêmes alliances indissociables des bonheurs et des angoisses de l’artiste, son habituelle démesure capable de rire au milieu des larmes... : ne seraient-ils pas, par voie de conséquence, "pour adultes seulement" ?
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 28 D'AVRIL 1996 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.
(¹) Galerie de Cérès Franco, rue Quincampoix à Paris.
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Une photographie montre Danielle Le Bricquir souriante, assise jambes croisées sur un “tapis” dont un pan relevé indique qu’il va s’envoler, l’emmener en un nouveau périple à travers les mythes celtiques qui lui sont chers.
Sa passion n'est pas nouvelle : la culture celte a imprégné l’enfance de cette bretonne élevée à l’ombre des calvaires, lui remémorant ici une légende (L'Ankou, l'Arbre d’Avallon...), là une anecdote ( La dernière pomme. Retour de Fest Noz). Mais jusque-là. ses oiseaux monstrueux auraient pu figurer à la proue d’un drakkar, ses totems protéger quelque lointain village africain... La culture bretonne transcendée devenait universelle.
Et puis, nouvelle variante, retour à des couleurs vives, de beaux rouges comme les pommes, bleus comme le ciel, verts comme la forêt où l’artiste s’est enfoncée pour y rencontrer Viviane; et nous raconter les heurs et malheurs de la gente Reine des fées quittant son château de cristal pour partir à l’aventure: Viviane, déesse-mère et fée des eaux, enlève Lancelot à ses parents, emprisonne dans ses enchantements Merlin endormi. Mais elle est mordue par Gorsiff le serpent. Apparaît alors l’Ankou avec qui, détentrice des forces et des secrets de l’autre monde, la fée exécute une danse macabre. Libéré de sa transe. Merlin l'emporte et l’enterre au plus profond de la forêt de Brocéliande. Mais Viviane se réveille bientôt dans les édéniques jardins d’Avallon...
Rien d épisodique dans cette nouvelle création : Danielle Le Bricquir l’a réalisée en une longue série de “scènes” réunies sur une seule laize; une bande dessinée analogue aux tapisseries moyenâgeuses d’Angers ou celles de la dame à la Licorne. Et la vivacité poétique, l’acuité picturale, la tendresse à fleur de toile, l’infinie tristesse provoquée par la mort de la fée se succèdent avec tant de puissance qu’une comparaison s’impose : n’étaient les origines païennes de cette légende et la connotation chrétienne du “Chemin de Croix”, à partir du moment où Viviane sort du château qui la protège, c’est une véritable montée au calvaire que vivent de concert la fée et l’artiste, déroulant leur histoire sur le “tapis”.
Ce bain de jouvence, douloureux, a-t-il néanmoins été bénéfique à Danielle Le Bricquir ? Retrouvant sa verve, la voilà repartie vers de nouveaux voyages, toiles et sculptures, avec pour ces dernières, des variantes par rapport à celles d’“avant”: elles marchent délibérément vers l’infini, car les plans perpendiculaires n’ont plus seulement valeur fonctionnelle: ils s’ajoutent à l’histoire peinte sur la partie totémique, en accroissant les détails et multipliant les orientations.
Bref, inutile de s’inquiéter : progressant à plans sécants ou en tapis volant, Danielle Le Bricquir, comme la magicienne qu’elle affectionne, a en elle tant de naïveté enfantine, de tendresse et de talent, qu’elle retombe toujours sur ses pieds, prête à rebondir vers de nouvelles féeries !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° N° 55 DE JUILLET 1995 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA
Et DANS LE N° 14 D'AVRIL-JUIN 1995 DE LA REVUE FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL.
VOIR AUSSI ENTRETIEN DE DANIELLE LE BRICQUIR PUBLIE DANS LE N° 11 DE JUILLET-SEPTEMBRE 1994 DE LA REVUE FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL.
Et DANS RETOUR SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURES.
Les œuvres et jouets de Danielle Le Bricquir sont visibles en permanence au Site de la Création franche à Begles (Gironde).