Chacun sait qu’à la campagne, il ne faut rien jeter, “ça peut toujours servir” : voilà un vieil adage qui convient à merveille à Sylvain Lécrivain ! Installé dans une ancienne ferme familiale, il vit entouré de tous les matériaux, agricoles, culinaires, potagers, vélocipédiques, etc. dont il a hérité. Non pour le plaisir d’entasser, posséder ces objets hétéroclites, mais pour celui de les toucher, les rapprocher dans des promiscuités ou des accordailles inattendues ; rattacher à chacun des souvenirs plus ou moins lointains ; créer en fonction de la définition qu’ils ont conservée ou au contraire déjà perdue, de nouveaux objets complètement différents de leur sens originel. Avec le regret, comme tant d’autres artistes habités comme lui par cette étrange obsession, que ses richesses s’épuisent ; que les décharges où il avait pris l’habitude de compléter ses trouvailles appartiennent désormais au passé ; que dans la rue, les gens ne jettent plus que des choses neuves sans âme et sans patine !
A partir de cette vie réinsufflée au gré de son inspiration, l’artiste a trouvé une démarche très personnelle pour mettre en scène ses compositions où il joue le plus souvent le rôle du coupeur de têtes : Parfois, il range sagement celles-ci dans des caisses, comme des classeurs qu’il assortirait par couleurs, par allure générale, par connotations spécifiques... Mais d’autres fois, il les fixe au bout d’un bâton, et ça ira ! Ça ira ! Selles de vélos touffées de poils de chèvres, emmanchées sur pots d’échappement ; cornes de bœufs sur ressort, faisant la nique à des cuillers en bois vrillées de billes de verre, etc. ; tout cet attirail combiné donnant des faces hilares, tristes à mourir, irrévérencieuses... placées en rangs d’oignons comme au théâtre et, fortes de leur nombre elles narguent le visiteur et lui donnent le sentiment que c’est lui le spectacle ; ou en rond et il court, il court le furet ; face à face ; côte à côte ; associées avec un grand souci de convivialité ; étagées pour former des sortes de totems terriblement kitsch... Tous les rapports sont possibles, auxquels s’ajoute une autre démarche du créateur : Puisqu’il s’appelle “Lécrivain”, il se doit de le prouver. Et de donner à ses personnages des titres redondants de leurs caractéristiques ; ou au contraire jouant des oppositions ; faisant référence à des contes, à des légendes, etc. : Des titres “simples”, du genre : "Noireaude, celle qui ne manque pas de ressort (elle en a un) pour regarder passer les arrière-trains" (ici, une selle de vélo) ; ou, concernant une autre vache, une carotte entre ses lèvres noires : "Végétarienne par conviction surtout, sauvée de taureaumachette aiguë un jour jeûné" !!... Et, Lécrivain oblige une fois encore, il s’autorise des fautes d’orthographe (Noireaude...) ; joue sur les mots (Bacon, bacon...). Bref, il a développé une véritable stratégie de l’ironie, de la dérision, tout bonnement de l’amusement (et son pari est gagné, à en juger par l’engouement des enfants pour ses oeuvres !)
Mais... ne se prénomme-t-il pas “Sylvain” ? Alors, fidèle à l’étymologie du mot, le voilà esprit des forêts, cherchant des troncs particulièrement marqués par le temps ; des écorces profondément incisées ; les loupes les plus tarabiscotées... Là encore, il colle, taille, assortit, ajoute mousses et lichens... compose en somme de nouveaux coins de bois. Sans se soucier du fait que, contrairement aux masques solides et durables, conçus en des ensembles évolutifs, ces installations sylvestres sont immodifiables, fragiles et éphémères. Provocatrices aussi, lorsque, pour dénoncer tel phénomène de société qui le heurte, il fourre ses bouts de bois dans des carcasses de télévisions ; craquelle des boules de terre, y mêle des bois calcinés et des fibres optiques dont le scintillement fait penser à des lucioles, etc.
En somme, art-récupérateur ou homme des bois, Sylvain Lécrivain est proche de ses racines (dans toutes les acceptions du terme) ; proche de la nature ; galopant à la recherche du temps perdu ; soucieux d’imprimer sa marque dans cette course aux souvenirs, et d’assurer la pérennité des objets qui en font partie. Devinette : Qu’est-ce qui, mieux que tout, peut résumer cet ensemble de préoccupations ; qui est fait de bois, de paille, de tissus... qui est un objet ludique et terrifiant, irrévérencieux et dérisoire ? Un épouvantail, bien sûr, dont il a, récemment, réalisé une série, pour le Musée... Corneille !
Jeanine Rivais.
LECRIVAIN Sylvain, alias ARTSCRIBE : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "MASQUES ET COMPOSITIONS SYLVESTRES DE SYLVAIN LECRIVAIN" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°67 de JANVIER 2000, IVe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY.