Fin du XXe siècle. Que signifie “Etre expressionniste” , quatre-vingts ans après la naissance de ce “mouvement”, et plus de cinquante ans après l’apogée de son influence dans l’histoire de l’art ? De quel courant se réclamer, alors qu’en sa pleine maturité, ce mot recouvrait tellement de tendances ; de styles si divers ? Alors que, même avec le recul, subsistent des imprécisions, des divergences, quant à savoir quels artistes y classer ; et que “le terme “expressionnisme” est devenu si suspect aux yeux de certains historiens d’art et d’hommes de lettres, qu’ils l’ont complètement banni”**.
Pourtant, Lénetsky se dit “peintre expressionniste”. Et peut-être, en effet, son trait pittoresque, l’organisation de l’espace pictural dépourvu de perspective, l’application de la peinture en surfaces, le rapprocheraient-ils de Nolde ? La façon métaphorique dont il exprime la souffrance humaine, rappellerait-elle Beckmann ? Le goût pour les portraits qui recherchent non pas la justesse de ton harmonieuse, mais la force expressive, ferait-elle penser à Kokoschka, etc. ? Car il semble bien, en effet, que le travail de Lénetsky puisse être un résumé de ce qui, dans leurs disparités, rapprochait ses prédécesseurs.
Le choix et la “mise en scène” des couleurs, d’abord, dans lesquels l’artiste sacrifie une composition soignée et un dessin précis au profit d’un chromatisme souvent violent, en fort contraste bi-colore, une partie claire possiblement verte, l’autre souvent noire, où se superposent les couches de peinture appliquées en touches compactes et pâteuses, s’emboîtant en solides aplats, où reste visible le sens du pinceau, apportant de ce fait rythme et relief aux surfaces colorées. Le tout recouvert de vernis dont l’adhérence un peu aléatoire crée sur le tableau, matités et brillances. Cette composition ne constitue jamais un “décor”, seulement un “fond” sur lequel se détachent un ou des individus.
Ce fond non-“narratif” génère un espace clos, un grand vide psychique qui isole les personnages, en buste ou en pied. Les silhouettes anthropomorphes ou parfois animalières évoquent une solitude infinie. Non que cette solitude soit “exprimée” de façon lyrique par les visages ; les distorsions violentes exercées par l’artiste font de ces figures ou de ces têtes des masques tragiques sur lesquels la faculté de Lénetsky de saisir l’essentiel, ne laisse surgir que les éléments indispensables : visage noir, gros yeux blancs chez Le vieux Juif ; visage blanc, yeux et sourcils noirs, bouche pincée, comme dans Portrait 1, etc. : une façon pour le peintre de révéler la nature interne de ses sujets. Conjointement, une tête penchée, une oreille “cassée” disent la détresse de l’âne Bidule dans son pré... Une face de grabataire tournée vers le visiteur ; un chapeau de travers ; des cous tordus au bout d’un noeud coulant... sont autant d’appels muets, créant une grande intensité psychologique.
La confrontation sur les cimaises de tous ces portraits tourmentés fait de l’univers de Lénetsky un monde étreint par l’angoisse, une image à la fois lucide et impitoyable de la condition humaine. A ce stade, il semble donc vain de le rattacher à une quelconque mouvance picturale, à moins qu’il n’ait besoin de ces référents pour apaiser sa propre angoisse existentielle. Car son oeuvre, par l’harmonie à laquelle il est parvenu, entre l’austérité, le dépouillement de la forme, et la sobriété du contenu, est tout à fait personnelle. Et nul doute, qu’expressionniste ou non, le sens profond du pathétique et de la mort imminente présents dans chacune de ses oeuvres, se double d’une conscience aiguë de soi !
Jeanine RIVAIS
**Dietman Helger : “L’Expressionnisme, une révolution artistique allemande”.
LENETSKY : C.R.A.C. Château du Tremblay.(Yonne).
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2008 APRES UNE MAGNIFIQUE EXPOSITION DE L'ARTISTE AU C.R.A.C. DUCHATEAU DU TREMBLAY FONTENOY (Yonne)