LES JARDINS INITIATIQUES DE MORDECAÏ MOREH, peintre

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      Mordecaï Moreh "disparaît" pendant des années, et n'émerge de son silence qu'après avoir créé un "nouveau monde". Chaque fois, il offre au spectateur l'occasion d'un profond étonnement, un véritable émerveillement ; le sentiment, en outre, qu'il ne lui sera pas facile d'entrer dans cet univers si, de culture, de religion, de mémoire différentes, il n'en déchiffre pas toutes les clefs. Alors, que peuvent, pour un profane, signifier "les Jardins initiatiques"  qu'il est invité à parcourir ?

 

        Ce sont d'abord des contes de fées : Comme dans le monde du Magicien d'Oz, ou celui plus naïf de Walt Disney, bêtes et hommes cohabitent, se parlent, s'aiment ou s’entre-déchirent, dans une étrange osmose. Des arbres aux feuillages et aux fruits abondants, "exotiques", génèrent ou abritent des animaux "venus d'ailleurs". Autour de bassins des mille et une nuits, s'agitent lièvres à collier, gazelles à longues cornes toronnées, tarsiers... et rêve une licorne "surmontée de croissants répandus à profusion et susceptibles de faire surgir un orient de rêves", de rêves les plus intimes et les plus fous". (¹)

 

      Les Jardins initiatiques  sont ensuite des fables où, apparemment, "La raison du plus fort est toujours la meilleure" ; car le bestiaire sans mièvrerie de Mordecaï Moreh est bien loin de n'être habité que par des animaux "gentils" ! Les chiens y ont souvent de grandes dents, la gazelle du Jardin d'amour est à l'évidence terrifiée ; et les lionnes sont sans ambiguïté menaçantes : Esope, La Fontaine et les leçons de la "vraie" vie sont tapis dans chaque tableau.

      Ces Jardins... renferment également une symbolique mystico-biblique et, dans ce domaine, les "signes" sont plus difficiles à décrypter : le serpent, le poisson, la colombe... sont ils "notre" serpent, "notre" poisson, "notre" colombe...? Quand le reptile descend d'un arbre et présente à une gazelle blanche la pomme qu'il tient dans la gueule, cet animal à connotation d'innocence symbolise t il Eve ? D'autant que le même animal propose le même fruit à une pure jeune fille vêtue de blanc, le jour de ses fiançailles ; à un séraphin coiffé d'une couronne, debout au sommet d'un arbre ?... Les colombes qui s'envolent partent elles à la recherche d'un rameau d'olivier prometteur de la terre proche, présage peut être de la fin du voyage initiatique ? Mille questions surgissent encore sur la présence d'anges ; l'absence d'hommes, car le Satyre d'amour peut difficilement être ainsi appelé ; de même que le peintre (rabbin ?) du Processus de l'individuation. Quant à la jeune fiancée, est elle à la fois virginale, pudiquement assise sur une chaise , et fantasmant, nue, dans l'eau du bassin ?

 

      A partir de tous ces possibles, et de bien d'autres encore, Mordecaï Moreh emmène le visiteur dans "son" monde de la psychanalyse , où "au milieu des choses" "in media res" serait la règle d'or. Le milieu des choses, c'est, ici, cette jeune fille parcourant les jardins d'où elle ne sortira que pour accomplir son destin de femme. C'est aussi la licorne, auréolée d'ésotérisme et de mystère. Car, dans chaque tableau, les personnages (plantes, animaux, humains) forment un anneau dont Groddeck écrit qu'il lui "est plus cher que des Immortels la gloire ; qu'il conserve l'amour ; qu'il recèle en soi la maîtrise du monde". (²)

      C'est bien d'amour que "parle" Modecaï Moreh dans ses oeuvres infiniment poétiques. Et s'il semble paradoxal de les "lire" comme les pages d'un livre, c'est qu'elles sont résolument littéraires. Gageons que si, au lieu de les placer épisodiquement sur les différents murs d'une galerie, elles étaient toutes réunies, bien serrées les unes contre les autres, sur une seule cimaise, elles offriraient au visiteur la vision d'un monde bien clos, bien rond. En tout cas, elles lui proposeraient un avant-goût de ce que chaque être peut rêver de trouver dans les Jardins d'Eden !

Jeanine RIVAIS

(1).La Tapisserie de la Dame à la Licorne est exposée au musée de Cluny, à Paris.

(2). Georg Groddeck : La maladie, l'art et le symbole. N.R.F. Gallimard.

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993, LORS D'UNE EXPOSITION DE L'ARTISTE A LA GALERIE DARIO BOCCARA A PARIS.