LES CREATURES “HYBRIDES” de MARGUERITE NOIREL, sculpteur

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“Hybrides”, ce mot pris au sens propre, surgit chez quiconque considère la genèse des oeuvres de Marguerite Noirel comme autant de témoignages d’une double démarche dont elle a parfaitement conscience : celle de son coeur, d’abord ; celle de son esprit ensuite !

Depuis toujours, une profonde complicité lie l’artiste au fer ; au point que, pendant longtemps, elle a collectionné des formes de hasard, hantée par leur histoire liée à l’évolution de l’Homme, fascinée par l’idée-même de dureté du matériau, charmée par les rythmes formels, les morsures et les corrosions des éléments ! Un jour, l’idée d’intervenir sur le passage du temps ; de contrecarrer la nature en créant de nouvelles formes qui vivraient de nouveaux cycles ; jouer les démiurges, en somme, a été la plus forte : Marguerite Noirel est devenue sculpteur !

Et laisse désormais le champ libre aux émotions nées des résistances différentes suivant les provenances, des cassures, des torsions... du vécu de l’objet qu’elle investit ; de la force du feu qui prolonge sa main, impose son fantasme... A ce stade, intimement “soudée” à la matière, elle est de plain-pied dans l’art brut !

Mais cette relation quasi-charnelle avec le fer paraît vite insuffisante à Marguerite Noirel. Commence alors une remontée vers l’esprit, l’envie de “dire” quelque chose, “témoigner” de sa volonté d’être d’une époque ; sortir de ses obsessions, de soi-même... Plus loin encore, quitter le symbolisme, la gravité des oeuvres du début ; et, en ajoutant des titres liés aux mythes ("Neptune", "Phoebus"...), à l’histoire ("Le dictateur"...), la littérature ("la Méduse apprivoisée"...) ; en en jouant dérisoirement pour faire tomber à plat des “effets” culturels... donner à ses oeuvres une connotation humoristique ; dire qu’elle a conscience du tragique de la vie ; mais partir à son égard d’un grand éclat de rire irrespectueux ! La voilà plongée dans des courants très intellectualisés, figuratifs sans être réalistes, qui l’entraînent bien au-delà de ses émotions primales...

Sans pour autant les oublier : Choisissant d’instinct telle ferraille ; provoquant des associations inattendues d’objets les plus quotidiens et de trouvailles les plus nobles ; construisant au moyen d’aimants des équilibres provisoires ; corrigeant des angles inexpressifs ; refusant des anarchies pour provoquer des horizontalités robustes, des verticalités élégantes, d’harmonieuses linéarités ; prévoyant pour l’oeil omniprésent dans ses oeuvres, les places et les rapports les plus aléatoires ; l’artiste exécute à chaque nouvelle création, une sorte de ballet autour de ses métaux. Cette danse initiatique ne prend fin qu’une fois la sculpture équilibrée en ronde-bosse ; l’espace investi avec la certitude que le vide autour de cette composition “existe” bien, que son architecture est en harmonie avec le ciel !

Reste la soudure. Et, pour garantir la pérennité de l’humanoïde nouveau-né, l’addition d’un glacis qui change le rapport des brillances et des matités originelles ; emmène définitivement l’oeuvre hors des dénotations accidentelles ; met la touche finale au jeu de Marguerite Noirel contre les sénescences des matériaux qu’elle aime ; annonce que le coeur et l’esprit de l’artiste se sont rejoints pour générer un “individu” sans hiatus : que son hybride, en fait, chasse de race. Et qu’une fois encore, triomphe la vie !

                                               Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 51 DE FEVRIER/MARS 1997, DE LA REVUE IDEART.