C'est un bien curieux voyage qu'accomplit Florence Nérisson, attirée par la différence, soucieuse de traduire par une série de scènes statiques, de personnages figés, la vision qu'elle a rapportée de l'Afrique ; poussée par une nécessité intérieure vers le continent africain dont il lui a fallu une infinie persévérance pour comprendre les mystères, intégrer les secrets, jusqu'à en faire une sorte de "pays d'origine".
Mais son souci n'est ni le réalisme, même si certains portraits semblent fort typiques ; ni l'esthnographie à la Jean Rouch : il s'agit d'une circumnavigation d'elle à elle, à travers des chocs émotionnels, des coups de cœur, des visions suggestives, des images rémanentes de son voyage réel. Comme si la touriste jetant un coup d'oeil superficiel sur une scène ou photographiant distraitement les étapes de son circuit, s'était peu à peu laissée séduire, avait cessé de "jouer" pour entrer profondément dans le rituel d'un village, le cérémonial d'une palabre,,, puis au lieu de participer, s'était isolée pour "se souvenir".
A propos de sa relation à l'Afrique, Florence Nérisson parle de conquête sur elle-même et de ses tabous d'Occidentale pour revenir à la sagesse, la primitivité, l'archaïsme tribaux ; trouver le trait qui les traduira exactement mais se fera oublier afin de ne pas entraîner le spectateur dans un exotisme de mauvais aloi ; s'assurer que l'émotion est sur la toile sans se laisser écraser par son poids de vie ; faire exister le tableau ; en exalter le hiératisme en condamnant la roideur ; enfin quitter la réalité pour prouver qu'au commencement est bien le rêve.
Pour traduire toutes ces orientations, Florence Nérisson choisit des pigments originaires des lieux-mêmes qu'elle peint ; étale en sous-couche des noirs dont les nuances et les irrégularités font vibrer les couleurs qu'elle va leur superposer ; jette ensuite les silhouettes des personnages et, à larges coups de brosse, leur donne présence et stature. Les couleurs vives mélangées de noir commencent à s'opposer ; des rouges violents affrontent des bleus ; des jaunes se confrontent à des verts. Des grigris ou des colliers de pacotille témoignent d'une tentation momentanée d'esthétisme... Et, burinés par la vie ou la souffrance, les visages seraient prêts à "vivre", n'était que les yeux dont n'apparaît que le noir les ramènent à eux-mêmes, les isolent du visiteur, les placent en totale introversion.
D'où la nécessité où se trouve l'artiste, à chaque nouvelle œuvre, de réaffirmer qu'elle a effectivement trouvé le moyen d'établir avec eux un impossible dialogue, de réimplanter les racines qu'elle s'est créées, donner à satiété à "son" Afrique, sa vision optimiste et colorée, relater de façon très subjective son voyage émotionnel à travers des mystères culturels dont elle s'estime détentrice.
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 14 D'AVRIL-JUIN 1995 DE LA REVUE FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL.