Jeanine Rivais : Josette Rispal, est il étrange de dire qu'en entrant dans votre atelier, on a l'impression de pénétrer dans la caverne d'Ali Baba ?
Josette Rispal : Exprimez le comme il vous plaît, puisqu'il s'agit des trésors de Josette Rispal !
J. R. : Cependant, la comparaison tourne court car, contrairement à l'image de la caverne où tout n'est que clinquant, on est, dans votre atelier, immédiatement cerné par le poids de votre culture, et la violence de votre talent.
Avez vous conscience de cette force artistique, et êtes vous d'accord avec cette définition ?
J. Rispal : Je vous arrête au mot clinquant : les trésors de la caverne sont ceux du monde, vus à travers les yeux des voleurs. Les miens sont ceux de mon regard et de mon travail.
J'aimerais mieux le mot "énergie" plutôt que "violence" : je crois à la magie qui consiste à enfermer l'énergie dans l'oeuvre.
Je n'ai pas l'impression personnelle que mon oeuvre passe au travers de ma culture ; ma vraie sensation est qu'il s'agit de deux mondes indépendants, mais parallèles bien sûr.
J. R. : Vous avez aménagé un ancien garage en lieu de travail, constitué de trois niveaux : Peut on dire qu'au sous sol, "vit" ce qui a un rapport à l'eau ; au rez-de-chaussée, ce qui concerne le minéral (terre, fer, verre) ; et au premier étage le lyrisme et les fantasmes (mariées, personnages habillés, etc.) ?
J. Rispal : Je n'y avais pas pensé, mais si vous le voyez ainsi ?...
Cet ordre, en tout cas, aura été plus ou moins inconscient. Vous pourriez dire que cela s'est étagé ainsi à cause de l'aspiration vers la lumière : l'immatériel, le lumineux se seront acheminés vers le haut, ainsi que les rêves et les fantasmes. Comme les personnages de chiffon réalisés pour un hôpital de jour pour malades mentaux ; ou mes mariées dont j'ai restitué les détails avec minutie ! Quand il s'agit d'un second mariage, il ne faut rien oublier...
J. R. : J'aimerais commencer un "voyage" au long des lieux que vous avez constitués !
J. Rispal : Ayant eu un atelier de 28 m2 avant ce garage, j'ai enfin pu rêver, créer mon monde, accumuler ce que vous appelez "mes trésors", me faire un jardin imaginaire. Petit à petit, et sans que je m'en rende compte, cela s'est constitué en une sorte d'univers particulier : le mien. Je m'en suis aperçue au travers des yeux des autres, des gens qui venaient me voir.
C'est en tout cas un lieu où j'ai mis beaucoup d'amour. Chaque fois que je rentre dans mon atelier, je m'y sens bien, et c'est ce que j'essaie de faire partager aux autres. Rien ne me fait autant plaisir que le sentiment de bien-être qu'ils disent ressentir en s'y trouvant !
J. R. : Comme dans l'allée où des statues monumentales conduisent le visiteur à l'Etrange Musée de Robert Tatin, le visiteur est accueilli chez vous par une double haie de personnages grandeur nature, flanqués d'arbres pétrifiés, à la poitrine ouverte sur de surprenantes "villes" éclairées. Parlez nous d'eux !
J. Rispal : J'aime votre réaction concernant ces personnages. J'aimerais pouvoir les déployer de manière plus monumentale. Au fond, le personnage et son intérieur, l'arbre et la lumière, ne sont ils pas une seule et même proposition poétique ?
J. R. : D'ailleurs, à chaque carrefour de votre atelier, vous avez "organisé" la lumière. Pourquoi joue t elle un si grand rôle dans votre œuvre ? Peut être sûrement dans votre vie ?
J. Rispal : La lumière symbolise pour moi l'apparition du Sacré et du Mystère. Il ne s'agit pas de la lumière pour la lumière : je suis au contraire très favorable à une lumière furtive, secrète, plutôt qu'à l'immersion moderne dans la lumière qui, pour moi, est souvent synonyme de froideur. Sur un plan beaucoup plus pratique, la lumière ou l'éclairage ont fait depuis quelques années de tels progrès qu'il me semblerait dommage de me priver de ses possibilités : elle devient une vraie palette.
J. R. : Peut être pourriez vous également nous dire pourquoi vos "humains" ont des pieds en bois, et vos "arbres" des doigts très longs, disposés en forme de mains ?
J. Rispal : Tout se relie à tout : il ne faut jamais s'étonner si l'artiste opère un "saut" !
Quand je vois des allées d'arbres, je vois des humains ; les Humains. Les humains qui auraient souvent besoin d'un arbre pour se ressourcer et se donner de l'énergie !
J. R. : Venons en à la "Maison des âmes mortes", ce lieu étrange clos de murs et néanmoins "ouvert" ; avec ses masques grimaçants sur lesquels vous ne faites tomber qu'un infime pinceau de lumière ...
J. Rispal : A propos de la "Maison...", vous faites un très curieux lapsus : il n'est pas, pour moi, d'"âmes mortes", il s'agit d'"âmes perdues" : c'est le masque qui regarde le spectateur ; et non le spectateur qui regarde le masque !
Pour moi, cette maison était la sculpture de la communication : les portes et les fenêtres en étaient ouvertes. La musique et l'écriture y ont toujours été et y demeurent omniprésentes. Chaque fois qu'un visiteur a éprouvé le besoin de transcrire ou d'exprimer ses rêves, ils ont pris place dans cette maison.
J. R. : Evoquons également "Nous irons au bois", série très poétique d'arbres créés longtemps avant l'avènement des écologistes.
J. Rispal : Ce mot "écologiste" ne m'intéresse pas. Pour moi, depuis toujours, l'artiste doit sans cesse garder son regard en rapport avec le cosmos et la nature. D'ailleurs, voici ce que j'avais écrit, il y a des années, lors d'une exposition précisément intitulée "Nous irons au bois" : "Cette exposition, consacrée à la nature et à la forêt approchées par plusieurs voies artistiques, à l'aide de matériaux différents, se veut un cri.
L'artiste est convaincu que tout art procède de la vie et que celle ci, aussi bien que la nature qui nous entoure, est menacée ; donc, par ricochet, l'art lui même.
Il ne s'agit pas tant de pollution ou de l'urbanisation sauvage de la vie industrielle, que de l'âme.
L'artiste, aussi bien que l'homme lui même, sont morts s'ils persistent à tourner le dos à la nature et à ses secrets. C'est pourquoi, dans une tentative qu'il se refuse à croire désespérée, il va à la rencontre de l'âme de la nature, passionnément, ainsi que l'est toujours sa recherche.
L'homme est dans le monde."
J'avais, sur 1 000 m2, intégré mes oeuvres (arbres, personnages), à la véritable nature, créant des "lieux" où le visiteur pouvait se reposer, rêver dans ce monde étrange, de création et de réalité.
Etrangement, alors que le public est venu en foules, cette démarche n'a eu pratiquement aucun écho médiatique : la longue liste des invités "écologistes" que j'avais sollicitée, s'est abstenue, sauf un responsable de la Fondation des Parcs de France. Sans doute, ce travail arrivait il trop tôt !
J. R. : J'aimerais faire une mention spéciale de votre "arbre pleureur" qui, bien plus qu'à l'arbre connu, s'apparente aux arbres sacrés auxquels les Indiens (d'Asie et d'Amérique) attachent d'étranges offrandes, en formulant des vœux. Qu'en pensez vous ?
J. Rispal : Ma démarche est proche, évidemment, de celle de ces pèlerins. Mais je ne connaissais pas l'existence de ces arbres avant que vous m'en parliez !
J. R. : J'ai d'ailleurs repéré, dans "votre monde", outre cet arbre magique, une statue "africaine", un personnage qui n'a "plus rien à dire", couvert de signes ésotériques. Or, là encore, vous vous défendez d'avoir, au moment de cette création, rien su de ces aspects de mondes extérieurs ! Peut on parler, vous concernant, de "culture intuitive" ? (Les psychologues auraient sans doute des mots savants pour définir cette situation ?)
J. Rispal : Les bases primitives à l'intérieur de l'Homme restent identiques à travers les âges et les cultures. La conscience collective existe : combien de fois un artiste réalise t il une oeuvre à Paris et, se rendant par hasard à New York, y retrouve la sœur de cette oeuvre ? Or, il sait très bien que jamais il n'a rencontré l'autre créateur, ce qui aurait pu expliquer la similitude de leurs deux créations !
J. R. : Vos sculptures en terre ou en métal sont toujours anthropomorphes : Leur aspect rugueux vous rattache t il à vos "racines" dont vous dites qu'elles étaient très frustes ?
J. Rispal : Mes sculptures sont toujours anthropomorphes d'une certaine façon : le minéral, le végétal, le vivant et le spirituel se chevauchent, les "racines" aussi.
Mes origines sont totalement paysannes, ce qui, pour moi, ne veut pas du tout dire frustes. Depuis ma plus petite enfance, j'ai créé "des lieux" : de la niche du chien à la cabane à lapins, je faisais des lieux de féerie, en ajoutant ou intégrant tous les objets qui, à l'origine, paraissaient quelconques ou dérisoires, et me permettaient néanmoins d'échapper au quotidien, d'entrer dans ce monde imaginaire d'où je ne suis jamais sortie.
J. R. : J'aimerais que vous expliquiez, dans vos créations de résine, l'évolution des formes : trapèzes, triangles, etc.
J. Rispal : Je vous ai déjà beaucoup parlé de l'organisation magique de mes formes : j'aime les faire évoluer au sein de structures géométriques simples, mais puissamment évocatrices.
J. R. : Enfin, parlez nous du coin jardin, fait de fleurs naturelles et de solides fleurs de verres polychromes.
J. Rispal : Après tout ce que je vous ai confié, cela ne peut vous étonner !
J. R. : J'ai bien peur qu'il soit impossible de tout "visiter", dans cette oeuvre polymorphe, raffinée ou grossière, délicate ou totalement kitch, énigmatique ou terriblement terre à terre ; dans cet univers fantasmagorique, pour lequel vous avez obtenu toutes les consécrations (médailles, prix, médias, etc.)
Connaissant la "violence" intellectuelle et la sincérité foncière de votre création, mais aussi la convivialité dont vous entourez vos visiteurs, je me demande comment vous gardez la tête froide, face à ces miroirs aux alouettes ?
J. Rispal : Comme je vous l'ai déjà dit, l'idée de "violence" me paraît tout à fait étrangère à ma démarche. Par contre, je suis complètement gagnée par l'idée de séduction : c'est une démarche d'amour ; la séduction encore une fois, ne se situant pas du tout dans le joli ou l'anodin, mais vers l'énergie.
Mais peut être avez vous raison : la volonté de séduction peut parfois faire penser à la violence !
Les consécrations que vous évoquez peuvent paraître impressionnantes à regarder d'un seul coup... Mais je peux vous assurer que, quand on travaille comme moi depuis très longtemps, les cailloux blancs du Petit Poucet ne se ramassent que de loin en loin !
Il m'est d'ailleurs arrivé une chose très curieuse : J'étais toujours quelqu'un d'ignoré ; et tout à coup cela a été le contraire : Tout le monde me disait "Vous qui êtes très connue..." et je m'apercevais que les gens étaient parfaitement au courant depuis le début de mes activités. Par contre, nul ne m'aidait, puisqu'on m'ignorait...
Après coup, je m'aperçois que mon travail n'a jamais correspondu aux modes : j'arrivais toujours trop tôt, comme pour mes arbres !
Nul ne m'aide d'ailleurs maintenant, puisque je n'en ai pas besoin !
Moralité : Il faut toujours se battre : C'est sans doute cela que vous appelez "garder la tête froide" ?
J. R. : Quels sont les grands projets auxquels vous avez récemment participé ?
J. Rispal : J'étais l'une des trois femmes à qui l'on a permis de s'exprimer à l'église du Gros Caillou ; et nos oeuvres ont été inaugurées au printemps.
J'ai ensuite participé au projets des Arts de la table, à la Galerie des 4 Coins de Roanne ; et à l'inauguration d'une sculpture en verre de 16 mètres de hauteur, à l'entrée du tunnel du Puymorens. Je me suis aussi rendue à l'étranger (Venise, Chicago) pour des expositions personnelles importantes...
J. R. : Et quels sont vos projets ?
J. Rispal : Je vais créer, autour des personnages grandeur nature auxquels j'ai consacré beaucoup de temps, un "espace" dans le tout nouveau musée que Luis Marcel est en train de créer à Lapalisse, dans l'Allier.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE EN 1998 DANS LA MAISON/ATELIER DE JOSETTE RISPAL.
IL A ETE PUBLIE DANS LE N° 62 D'AVRIL 1998 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.
Les images incluses ont été "repiquées" dans le BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.