LE MYSTERE PHILIPPE SMIT

(1886-1948)

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La Châtelaine
La Châtelaine

          Quels érudits connaissent, aujourd’hui, le peintre Philippe Smit qui, de son vivant n’a presque jamais exposé ses oeuvres ; et, depuis les années 50, n’a été présenté nulle part ? Bien peu de gens, assurément : c’est pourquoi il est bon de saluer le flair de Claude Renouard, conservateur du Musée municipal de Noyers-sur-Serein, dans l’Yonne, qui a déniché nombre de ses oeuvres entreposées depuis des décennies dans les caves du FNAC, et en a emprunté d’autres aux  descendants de l’artiste. 

Né en Hollande,*  passionné dès l’enfance de peinture, poésie et musique, Philippe Smit arrive en France où ses oeuvres sont très vite remarquées par des collectionneurs ; et par d’autres artistes. Il rencontre tour à tour les plus célèbres, de Claude Monet à Picasso ; et “Matisse, Van Dongen, Jean Marchand et Luc-Albert Moreau lui proposent de se joindre à leur groupe ; ce qu’il refuse, préférant une vie qui mêle étonnamment dandysme, austérité, solitude et mysticisme”,** lequel est renforcé par la découverte des textes de Swedenborg***, qui correspondent si profondément à ses propres images !

 

Concert d'anges
Concert d'anges

Imprégnées de mysticisme, les oeuvres de Philippe Smit le sont, en effet ; tel ce Concert d’anges où des êtres aux visages très allongés ; sans sexe défini, mais vêtus de longues tuniques amples ;  groupés autour d’une épinette ; jouent de la musique dans un décor champêtre d’arbres en fleurs. Au-dessus de cette scène paisible, le ciel est partiellement envahi de nuages lourds aux bords desquels une sorte de visage aléatoire projette sur la scène son éclairage froid ; l’autre partie, plus obscure encore, étant obliquement coupée en deux par un fragment d’arc-en-ciel qui semble émerger de ces arbres : Lutte de la lumière et de l’ombre, où cette dernière l’emporte manifestement. Mysticisme encore dans Le Tombeau sans nom où un cadavre allongé en travers d’une pierre tombale , pose sa main gauche sur l’épaule de ce qui, de nouveau, est peut-être un ange ; tandis que sa main droite, pendante, pince les cordes d’une lyre tombée dans l’herbe ; et que, agenouillé parmi les fleurs, un autre ange semble gravement attentif à cette musique.

L’austérité est, elle aussi bien présente dans cette oeuvre puissante, où L’Atelier, semblable à une chapelle, est serré entre des touffes d’arbres ; où les vagues d’une anse de La Petite Bretagne viennent mourir entre des rochers noirs...

 

L'âme de la rivière
L'âme de la rivière

Finalement, en côtoyant les oeuvres de Philippe Smit, le visiteur est continuellement partagé entre une mythologie qui le fait penser aux oeuvres symbolistes de Gustave Moreau d’où serait paradoxalement exclu le romanesque ; et les films lugubres d’Ingmar Bergman, le Septième Sceau ou Cris et chuchotements, tant la densité de ces créations serre la gorge comme d’un brouillard invisible, d’une totale vacuité géographique, d’une impression d’indicible solitude, voire de châtiment implicite ! 

De couleurs plus claires, les portraits, ceux de femmes surtout, devraient un peu rasséréner le spectateur. Impression fugitive ; puisque la même austérité que dans les paysages, se retrouve dans les portraits d’hommes : En effet, si le fauteuil est de reps tissé de fleurs et d’arabesques en demi-teintes, le personnage qui y est assis a le dos raide, les yeux durement fixés dans le vide ; et la façon dont ses mains osseuses s’appuient sur le livre épais suggère qu’il s’agit-là d’une Bible ; que le vieillard médite sur la mort !...

Seuls, quelques bouquets égaient cet univers rigide, laissant éclater dans ce parcours d’une rigueur spartiate, le rouge pur des coquelicots et le jaune safrané des verges d’or ! 

 

Une création d’un abord difficile, certes. Néanmoins, malgré l’impression rémanente de sévérité, il s’agit d’une très belle oeuvre picturale ; peinte avec un sens très fort de la couleur et du rapport de la matière à la lumière. Au point que, comme dans les films de Bergman, la spiritualité persiste dans l’esprit du visiteur, longtemps après qu’il ait franchi les portes de ce musée qui, décidément, offre chaque année des expositions de grande qualité.

Jeanine RIVAIS

 

 

*PHILIPPE SMIT : Né en Hollande, de père hollandais et de mère française. Il vient en France à l’âge de 6 ans, retourne en Hollande faire ses études, exerce un temps le métier de joaillier et revient habiter en France en 1913. Très vite, ses peintures sont remarquées, en particulier par le banquier Nicolas Urban dont la famille devient son mécène : un portrait de Melle Urban, réalisé par le peintre, permettra la conclusion du mariage de la jeune fille avec le fils de l’industriel américain T. Pitcairn, membre actif de l’Eglise swedenborgienne aux Etats-Unis.

 

**cf document de presse.

 

**EMANUEL SWEDENBORG : (1688-1772). Théosophe et visionnaire suédois. A la suite de visions qu’il aurait eues en 1743, et dont il fait le récit dans Les Arcanes célestes, il développe une doctrine dite de la Nouvelle Jérusalem, sur la communication des esprits ;  qui enseigne que tout a un sens spirituel dont Dieu seul a connaissance.

 

 ***INGMAR BERGMAN : (Uppsala 1918-2007). Cinéaste et metteur en scène de théâtre suédois. Dans un style flamboyant ou dépouillé, réaliste ou allégorique, mais toujours incisif, son oeuvre oscille autour de plusieurs thèmes majeurs : le sens de la vie, le Bien et le Mal, Dieu, l’incommunicabilité du couple : Le Septième Sceau (1957) ; Cris et chuchotements (1972), etc.

 

MUSEE MUNICIPAL DE NOYERS SUR SEREIN : (89310) rue de l’Eglise.  

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2000 ET PUBLIE DANS LE N° 10 DE LA REVUE DU CRI D'OS.