DE COEUR ET DE TERRE: LES HISTOIRES AFRICAINES D'OUSMANE SOW, sculpteur
(10 octobre 1935-1er décembre 2016)
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Contrairement à ce que dit la chanson, ce n’est pas le vent que trouve le visiteur, sur le Pont des Arts à Paris, en ce printemps de fin de siècle ! Mais de bonnes sculptures, lourdes, gigantesques, bien narratives, comme il n’en a pas vu depuis trop longtemps ! C’est qu’en effet, les oeuvres d’Ousmane Sow, immenses, âpres et belles, sont revenues en 1999, en France pour une rétrospective, mais surtout pour le plaisir de chacun et peut-être sa nostalgie ?
“Revenues”, car contrairement à ce qu’a déclaré la presse, plusieurs centres de province l’avaient déjà invité ; et une exposition importante lui avait été consacrée, voici quelques années, par l’Espace d’Art contemporain de Rouillé, près de Poitiers. Exposition d’autant plus surprenante que les œuvres de l’artiste africain combinaient leur gigantisme à celles, minuscules, de l’Américain Charles Simonds (²). Œuvres de terre aussi, “réalistes” également, "les installations-constructions ruiniformes de ce sculpteur, semblables à des vestiges échappés à quelque cataclysme d’un passé ignoré, inexorable progression d’un “cycle naturel de la naissance, de la vie et de la mort” (¹), apparaissaient comme les contre-points microscopiques des grandes forces tendues par Ousmane Sow ! Dans cet univers, en effet, d’édifices en réduction, et de “fleurs” épanouies au cœur d’un désert ocre craquelé, la surprise venait de l’entente parfaite que les organisateurs avaient su créer entre la stature géante d’un guerrier massaï carrant près de quelque casbah aux murs éboulés, inondée de soleil, ses pieds énormes ; plantant sa sagaie dans l’ouverture d’une grotte qui affleurait à peine au-dessus du sol... A ces lieux de l’un, affirmant leur liturgie de la trace ethnologique et de la beauté délicate, les personnages de l’autre apportaient leur vie archaïque, statique mais tellement évocatrice, et leur souffle puissant.
Evocation et puissance qui se retrouvent dans l’exposition parisienne : car, dans ce travail remarquable, les chevaux et les buffles sont grandeur nature. Les hommes, eux, sont plus grands qu’en réalité (**) ; mais néanmoins si réalistes, avec leurs cheveux et leurs moustaches qui humanisent leurs visages aux gros yeux tantôt rieurs, tantôt terribles ou pleins de tendresse ; aux pommettes hautes et mentons volontaires. La peau est “presque” vraie, brune, tavelée, grumeleuse, moulant des muscles saillants lors de l’effort, dans l’élan de la course ou le moment où la bête prise au lasso est couchée sur le flanc. Luttes, chevauchées... se succèdent, dans cette mise en scène prodigieuse d’intelligence et d’esthétique ! Saisies à l’infime moment où l’homme ou l’animal sont à l’acmé de leur mouvement, au sommet de leur émotion, dans la plénitude du repos...
Et il est alors remarquable que, lorsque Ousmane Sow parle du quotidien, transmet à sa manière la vie tribale massaïe ou peule, les combats rituels et pacifiques des Noubas... il “raconte” l’Afrique. Mais –volonté peut-être de démontrer que les hommes génèrent partout les mêmes joies, les mêmes souffrances ; ont partout la même folie meurtrière ; ou désir de prouver que son esprit créatif peut atteindre à l’universalité-- ; dès qu’il évoque l’Histoire, que ses “histoires” se font épopées, il part au Far-West américain, réveille à coups de colts ou d’épées, les échos de Little Big Horn, remet en selle Custer et son régiment !
Pourtant, Ousmane Sow sait aussi –et il montre là plus qu’ailleurs, par le paradoxe entre la taille de ses individus et les sentiments qu’ils expriment -- rendre des moments de détente, de grande intimité et de sérénité : celui où la femme au visage presque blanc, agenouillée sur la terre battue, le buste droit, altier, les cheveux savamment rassemblés et torsadés au-dessus de la tête, tresse la chevelure raide de graisse de son compagnon ! Celui où le vieil homme en prière tend vers ses dieux, ses bras démesurés... où l’homme, jeune cette fois, visage tendu vers un lointain horizon, tient par les bras une jeune femme...
Devant ces silhouettes fines et élancées, ou au contraire trapues et arc-boutées, témoignages de petits bonheurs et de l’âpreté d’une vie de labeur, de la grâce et de la violence, la vie et la mort, etc., le spectateur retient son souffle ! Et, même s’il sait qu’”avant” de revenir à ses racines, à son folklore, Ousmane Sow était à Paris, kinésithérapeute et connaît de ce fait parfaitement le corps humain, ses intrications et ses ressorts ; même s’il faut, pour ce visiteur, admettre que ces êtres ne sont faits que de paille, de jute, de torchis, de pigments et de peintures ; si grands sont leur vigueur et leur pouvoir de suggestion, qu’il ressent de façon très intime la magie générée par de secrets mélanges de goudrons et de résines macérant dans la terre pendant des années, puis intégrés pour amalgamer ces matériaux grossiers, pour “modeler” ces golems familiers! “Naissent” de cette alchimie, animaux ruant, caracolant, s’effondrant, s’abreuvant... femmes dans leur quotidienneté villageoise, hommes conquérants ou blessés, mais toujours humains, rien qu’humains !
Une grande exposition, visitée par une foule si dense, qu’elle a dû être prolongée : preuve que, lorsque le Ministère de la Culture propose au public une oeuvre qui le respecte et l’enchante, il sait être au rendez-vous. D’autant, et cela n’était sans doute pas négligeable vu l’affluence de gens venus en famille, que la visite était gratuite !
Une oeuvre témoignant d’un tel talent, d’une si grande créativité, de tant de poésie que, malgré les honneurs et l’officialité –dont il a su se préserver en retournant vers sa terre d’Afrique -- ; pour cette raison-même, aussi d’ailleurs, Ousmane Sow mérite pleinement le titre d’ “artiste singulier” !
JEANINE RIVAIS
** Ils peuvent atteindre 2,60m ! Mais Ousmane Sow n’est-il pas lui-même un géant de 1,90m ?
(1) Christophe Duchâtelet, écrivain.
(2) Charles Simonds découvre à 6 ans au Mexique, les architectures et les paysages des anciens Indiens. Il en est marqué de façon indélébile. Son univers sculptural a de tous temps été miniaturisé ; en particulier lorsqu’il réalisa, en 1975, tout un univers de "Dwellings" (demeures) hautes de quelques centimètres, et leurs habitants tellement minuscules qu’il dut les fixer à la pince à épiler. Réalisées sur un toit, ces œuvres étaient proposées avec, en toile de fond, les gratte-ciels de Manhattan. Les œuvres proposées dans le Poitou mesuraient au maximum 1 mètre de diamètre ! Les œuvres de Charles Simonds sont proches du Land Art.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE NUMERO 67 DE JANVIER 2000 DU "BULLETIN DE L'ASSOCIATIPON LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.