LES CRUCIFIX DE RENE STRUBEL, peintre et sculpteur

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          Etrange monde que celui de René Strubel qui, de squat en squat, affirme son choix de rester en marge des lieux institutionnels, sa volonté de ne pas être récupéré par un système social trop précis à son goût ; d'aménager un territoire de pure gratuité ;  partant, de totale poésie capable de nourrir son drame intérieur.

C'est par la poésie que s'est d'abord exprimé l'artiste, à une époque de révolte contre l'hypocrisie et la bigoterie de son entourage. Mais, petit à petit, il s'est réconcilié avec son enfance ; le "langage" s'est modifié, est devenu une peinture néo-impressionniste faite, à l'image de la vie, de traces belles et de déchets extirpés des poubelles : à partir de là, René Strubel n'a plus exprimé que le sens de l'éphémère ancré en lui, son espoir de laisser malgré tout une trace durable, un message intemporel fait non de désespoir comme, à première vue, pourraient le suggérer ses œuvres, mais d'une vision objective de la vie, sans mièvrerie ni tricherie : une recherche de la beauté dans la vérité. Tant pis pour quiconque ne saura déceler cette beauté sous les oripeaux ! 

Et il vrai qu'ils sont "beaux" à leur manière, puissamment impressionnants, porteurs sans concession de toute la misère du monde, les crucifix qui, de peintures, ont crevé la toile pour devenir des reliefs faits de vieilles planches, vieux morceaux de métaux, ligatures métalliques ou torons végétaux, couverts de pigments ocre et toujours mats. Cloués, torturés, tortis, écartelés sur leur croix, ces "hommes emblématiques" ne permettent pas au spectateur d'imaginer pour eux, le mondre souffle libérateur. Et cependant, à les contempler longuement, l'angoisse s'estompe et le sentiment émerge peu à peu qu'en jetant sur ses œuvres tant de déchéance, l'artiste libère ses propres misères. 

Il ennoblit, ce faisant, les objets rejetés par autrui ; parvient en somme "avec de la boue, à faire de l'or" ; réalise par cet étrange va-et-vient une totale adéquation entre œuvre et imaginaire ; impose par ses assemblages inattendus SA conception de la beauté universelle : Quel artiste, partant de matériaux "nobles" et réalisant des sculptures "esthétiques" pourrait assumer aussi sincèrement et sereinement que le fait René Strubel, la phrase de Nietzsche "Avoir du chaos en soi, pour accoucher d'une étoile qui danse" ? 

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE PUBLIE EN 1995 SUITE A UNE EXPOSITION AU CENTRE CULTUREL SAINT-MUCHEL DE COURTRAI.