LES SIGNES DU ZODIAQUE, de CAROLINE SURY

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           La trentaine juste passée, Caroline Sury a hérité dès le berceau des idées de Mai 68, avec leurs grands élans de liberté inconditionnelle, et les perversions de goût d'une modernité que Malraux affirmait être née "le jour où les idées d'art et de beauté se sont trouvées disjointes". Génération influencée par la B.D. également, de "Mad", "Hara Kiri"... aux Japonais ; avec le sens du dérisoire des uns, l'instinct de violence des autres !

           En effet, dérision et violence inhérente à celle de la quotidienneté, mort et morbidité, sexe dans sa vulgarité (sans que ce mot soit péjoratif, mais à prendre au sens de "commun", "courant", "délivré de tabous") jalonnent les oeuvres de l'artiste  : Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans Les signes du Zodiaque qu'elle présentait à l'automne 1996, au Festival de Roquevaire : Série à la fois "exacte" par rapport aux images et définitions référentielles du dictionnaire, et parodique du fait des "interprétations" très personnelles qui en sont faites !

   

            Peut être, par ailleurs, n'est ce pas un hasard si, au lieu de "commencer" par le Bélier, Caroline Sury avance les Gémeaux... les "Gémelles" plutôt puisqu'il s'agit de deux fillettes ? Car, de prime abord, le visiteur se demande si, pour des raisons personnelles, l'artiste a une relation spécifique à la gémellité, voire aux problèmes de siamois, tant elle colle ou appose des personnages ou des animaux en des ressemblances ou des symétries absolues ! Avec, si besoin est, des appendices supplémentaires toujours pairs ! Ainsi, ses jumelles, nez à nez écrasés, yeux dans les yeux fulminants, bouche à bouche hurlantes, robes si proches qu'elles n'en font qu'une, jambes entrecroisées dans un unique équilibre... se tirent elles la même tresse, se giflent elles sur la même joue, s'arrachent elles avec le même entrain la même touffe de cheveux au sommet de têtes similaires !... Ainsi le Bélier est il réduit à un crâne aux orbites vides, et à deux cornes/nattes retombant de part et d'autre de deux pattes raides parallèles... Ainsi encore, la Balance, située "en bas" de la sphère zodiacale, est elle chez Caroline Sury représentée par deux "enfants" pendus par les pieds, étroitement saucissonnés par de grosses ficelles, tandis que leurs "sucettes" font office de muselières : Figurerait elle au fronton d'un Palais de Justice, cette balance ne serait pas aveugle car ses deux "plateaux" ouvrent des yeux immenses, mais elle serait incontestablement muette !... Il faudrait encore évoquer les Poissons qui épanouissent leurs têtes/casques d'aviateurs à partir d'une même nageoire caudale... le Cancer aux deux pinces reliées comme les bagnards par une énorme chaîne, etc.

 

      Mais le regard s'attarde également sur l'implication psychanalytique du Verseau (verse eau), sexe saignant, yeux dégoulinants de deux grosses larmes grouillant de vers ; sur celle contradictoire du Lion avec son coeur "gros comme ça" mis à nu (peut être, paradoxalement, le seul des "douze" à paraître "gentil"?) ; du Capricorne dont la tête retournée vomit par les yeux des serpents, tandis que sa langue/sexe est brandie vers les circonvolutions de la corne annelée ; du Scorpion bardé des attributs dévolus, dans les films classés X, aux scènes sado-masochistes ; du Sagittaire, sorte d'Eros/minotaure aux yeux vicieux, dardant à l'envi sa flèche et son sexe...

 

          Et puis s'impose l'irrévérence de Caroline Sury pour les valeurs habituellement consacrées : Un ignoble crâne de Toro symbolise le signe homonyme, une boucle dans les naseaux ; cloué sur une croix comme Jésus au Golgotha ; flanqué de deux larrons aux traits grotesques stylisés. Des flèches décorées saillent de cette tête morbide, de part et d'autre de laquelle sont fichées deux croix de guingois, tandis que, "découpés sur l'horizon", deux minuscules taureaux (la foule?) escaladent les pentes du Calvaire !... Et la Vierge enfin, Alice vicieuse ou sorcière maléfique dont les multiples bras brandissent qui un cochon, un lapin... qui une bouteille au fond tubulé comme une vessie... tandis que les nombreuses jambes mobiles suggèrent que cette vierge là ne se laissera pas surprendre !

 

           Oeuvre étrange, en vérité, que celle de Caroline Sury ; authentique concentré de dynamite d'autant plus explosive qu'elle est allumée avec talent ; que la symbolique et les couleurs brutales ne pourraient être imaginées édulcorées ; que le défi lancé par cette nouvelle vague picturale ne saurait être oblitéré. Car l'artiste, comme Antoine Rigal, Paquito Bollino, etc. est bien en train de secouer les cocotiers de la hors normalité : Qui peut jurer, devant leurs oeuvres si spontanément provocatrices, de n'avoir jamais eu un mouvement instinctif de recul intellectuel, avant de céder à leur fascination et de s'en délecter comme d'un fruit vénéneux!? 

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 60 DE JUIN 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.