QUOTIDIENS ET FANTASMES DANS L’OEUVRE DE CAMILLE VILLERS (peintre)
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Camille Villers est-il “naïf”, comme le laissent penser ses petits personnages si finement exécutés ("La Pause", "le Cerf-volant"...), ses étendues forestières si drues, aux troncs d’une géométrie si évidente, aux fleurs si bien alignées, et aux champignons si impeccablement au garde-à-vous ? Certes, oui ! Soucieux d’une quotidienneté paisible, il peint avec un art consommé une vie bucolique où tout est net, où chacun est à sa place, chaque salade impeccablement frisée, chaque coeur dans son chou... ; où le château-fort abrite dans sa cour séculaire, une accordée de village, au cortège nuptial trottinant en ordre irréprochable ; où la ville épouse idéalement la pente de la colline pour s’harmoniser avec les bois d’arrière-plan...
Les bois ! La quintessence de l’oeuvre picturale de Camille Villers : ils sont là, leurs feuilles dessinées côte à côte comme des broderies, compacts et cependant amicaux ; fermant l’horizon, mais sans menace, comme des sortes de cocons qui protégeraient les lieux de vie où les habitants vaquent tranquillement à leurs occupations ! Tels qu’on les imagine aux temps originels, lorsque les animaux sauvages venaient lécher la main des enfants ("Tendresse"), que "Le Berger" appuyé sur sa canne toronnée parlait à ses moutons. Un paradis terrestre, en somme, fait de perfection un peu “rétro” et d’harmonie, où les hommes se déplacent en carrioles parce qu’elles ne polluent pas ; d’où n’est pas exclue une petite pointe d’humour lorsque, dans le calme le plus idyllique ("La Vie dans la forêt"), le vent ne souffle que pour la fumée spiralant d’une cheminée, et le cerf-volant qui s’élance vers la terrasse supérieure ! Pour le spectateur, il est évident que l’artiste “se régale” à jouer les sylvains, enchanter ses forêts en y créant des variantes végétales hautement fantaisistes, où au contraire banalement potagères comme ces artichauts géants bleu-vert qui ornent plusieurs tableaux
C’est qu’à défaut d’être sylviculteur, Camille Villers a longtemps été arboriculteur ; et une vie passée à regarder grandir les arbres, n’est sans doute pas étrangère aux choix picturaux de ce parfait autodidacte ! Quelquefois, pourtant, las sans doute de tant de sagesse, il se raconte des histoires. L’oeuvre se fait fictionnelle, migre vers des mondes où les gens ont des visages taillés en lignes ovales concentriques dont l’apex accentué ("La Chasse") leur donne des bouches dures et des yeux sardoniques ; ou au contraire éclairci, les rend largement hilares ("L’Accueil"). Peints avec une grande précision, les hommes ont des épaules carrées de paysans solides, les femmes des hanches larges comme destinées à la procréation. Les forêts se font enchevêtrements coralliens d’un bleu froid, d’où semble exclue la complicité des oeuvres précédentes.
Plus loin encore dans la fantasmagorie : Camille Villers pose ses pinceaux dans un univers de créatures-oeufs, promenant en d’étranges défilés des sorciers ? des grands prêtres ? à la tête caroncule, tandis qu’à l’arrière de la scène émergent d’une église-colimaçon des hordes d’oiseaux, et qu’au premier plan joue de la flûte la mort, bien humaine, elle ; et dansent des femmes nues à têtes de taureaux !
Ces oeuvres où se déroule une vie dérisoire au rythme des éclosions des oeufs omniprésents, dans lesquels ici se voit en mire quelque vieillard solennel, là s’échappent toutes sortes d’animaux... pourraient-elles être la vision qu’aurait Camille Villers d’une moderne Tour de Babel ? Quoi qu’il en soit, et bien que la même précision picturale accompagne ces créations, elles sont plus étranges, empreintes d’une sourde menace ! Elles l’emmènent en tout cas bien loin de ses paysages champêtres où rien de fâcheux ne semble pouvoir lui arriver !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998.
VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "QUOTIDIENS ET FANTASMES DANS L'ŒUVRE DE CAMILLE VILLERS DANS LE N° 62 D'AVRIL 1998 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. "DE TERRE ET DE CHAIR, LES CREATIONS DE MICHEL SMOLEC, sculpteur" .
Et Et PUBLIE DANS LE N° 57 DE LA REVUE IDEART EN 1998.
Et aussi : http://jeaninerivais.fr Rubrique RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S).
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Et il est émouvant de penser à la mère de l’artiste, Marguerite VILLERS qui, à l’âge de 82 ans, s’est un jour mise à peindre ! Quelques oeuvres, naïves elles aussi, de vaches en train de paître ou de fermes tranquilles. Et puis, "Les Pompiers" ! Il est, à propos de cette toile, surprenant d’apprendre que la vieille dame, qui découvrait soudain le plaisir de la création, a inventé sa version personnelle de l’aérographe, en découpant son premier pompier pour le reproduire plusieurs fois à l’identique ! Cependant, rien de répétitif, dans ce petit tableau plein de vie et d’humour ! Dommage que, comme pour M’an Jeanne, la mort ait mis fin si vite à cette trop tardive vocation !
J.R.